L’Amorce d’un Authentique Volontarisme Sud-Sud et Africain ?

Publié le par Christian Bailly-Grandvaux

Le Président Thabo Mbeki d’Afrique du Sud à l’Onu le 22 Septembre 2004 : L’Amorce d’un Authentique Volontarisme Sud-Sud et Africain ? 
19/01/2005

Lors de la 59ème session de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies, le discours du Président Thabo Mbeki, sans effets d’annonces tonitruants, porte un regard lucide sur les priorités du monde vues par l’organisation et ses acteurs dominants, sur la prise en compte toute relative des besoins des plus faibles. Ce discours permet de comprendre l’implication sud-africaine dans l’accès des populations déshéritées à une meilleure représentativité au sein des instances de décisions des Nations Unies, afin qu’elles disposent d’un pouvoir réel de faire passer leurs plaintes au rang de priorités collectives impérieuses, au même titre que le terrorisme, l’Irak, la Palestine… Extraits.

Dans la Déclaration du Millénaire, nous avons eu recours à des mots porteurs pour résumer notre réponse face à ces problèmes. Nous avons dit, je cite :

« Il est de notre responsabilité collective de défendre les principes de dignité humaine, d’équité et d’égalité au niveau mondial. En tant que dirigeants, nous avons ce devoir envers tous les êtres humains, et plus particulièrement, envers ceux qui sont les plus vulnérables, comme les enfants, à qui l’avenir appartient ».

Nous avons aussi ajouté : « Nous sommes résolus à instaurer une paix juste et durable partout dans le monde, conformément aux objectifs et principes tinscrits dans la Charte ».

Puis, « Nos efforts pour que la mondialisation soit un processus équitable et puisse inclure tout le monde doivent conduire, à l’échelon mondial, à des politiques et à des mesures qui correspondent aux besoins des pays en développement et des économies en transition et qui soient formulées et appliquées avec leur participation effective ».

Nous nous sommes également engagés à « ne ménager aucun effort pour tirer nos semblables –hommes, femmes et enfants- de l’extrême pauvreté, phénomène abject et déshumanisant… Nous sommes résolus à faire du droit au développement une réalité pour tous et à mettre l’humanité tout entière à l’abri du besoin ».

Nous ne pouvons qu’être d’accord sur le fait que nous avons dit tout cela. Nous tomberions tout aussi d’accord sur le fait que nous pensions ce que nous disions. Je pense aussi que ce ne sont pas là les seules questions sur lesquelles nous parlerions d’une même voix.


Je dis ceci car je me suis moi-même posé la question de savoir si nous avions atteint les objectifs que nous nous étions fixés. Il m’a semblé impossible d’y répondre par l’affirmative. Peut-être en est-il parmi nous qui seront d’un avis contraire et qui penseront que c’est là un bon début et qu’il est trop tôt pour dire que nous avons échoué.

Je suis sûr que si nous disons à ceux qui sont touchés par la violence et la guerre que ce que nous avons fait est un bon début vers l’instauration d’une paix juste et durable dans le monde entier, ils ne nous croiront pas. Je suis tout aussi sûr que si nous disons à tous ceux qui se couchent, le soir, le ventre vide, que ce que nous avons fait est un bon début vers la mise à l’abri du besoin de l’humanité tout entière, ils ne nous croiront pas non plus.

 

Je voudrais aussi faire remarquer que la vision de dignité humaine, d’équité et d’égalité pour tous dans le monde, telle que nous l’avons énoncée dans cet imposant forum il y a quatre ans, semble, aux yeux des êtres ordinaires qui souffrent de la faim et de la guerre, un beau rêve dont la réalisation ne peut être que différée.

Cela signifie t-il que, lorsque nous avons fait ces promesses, nous ayons délibérément menti à des milliards d’être humains ordinaires ? La réponse est évidemment NON ! Avons-nous parlé ainsi tout simplement parce qu’il est plus facile de parler ainsi ? La réponse est à nouveau NON !

La question qui se pose est celle de savoir pourquoi la grandeur des mots utilisés et la vision qu’ils dépeignent – celle d’un monde de paix, un monde sans pauvreté, un monde dans lequel chacun aurait sa part de prospérité – n’ont pas produit les beaux résultats escomptés !

Il me semble que la réponse à cette question se trouve dans le fait que nous n’avons pas encore sérieusement traité les questions qui touchent à l’exercice du pouvoir et à ses abus.

Hier, le Secrétaire Général, Monsieur Kofi Annan, a parlé avec éloquence du code d’Hammourabi, vieux de trois mille ans. Il disait que ce code avait marqué une étape décisive dans la lutte de l’humanité pour instaurer un ordre dans lequel la force ne ferait plus loi mais la loi ferait force ». Nous avons bien compris que le Secrétaire Général, à sa manière élégante, attirait notre attention sur la question centrale du jour, à savoir celle de l’exercice du pouvoir et de ses abus !

La société contemporaine se caractérise par un déséquilibre profond dans la répartition du pouvoir. Ce pouvoir est détenu et exercé par des êtres humains. En tant qu’êtres humains, les plus puissants ont beaucoup en commun avec les plus déshérités, à savoir le besoin de manger, de boire, d’être protégé des éléments, d’aimer, de rire, de jouer, de vivre.

Mais la vie se charge de nous apprendre que c’est cela, et cela seulement, que les êtres humains ont en commun. En effet, le reste, les relations que nous avons les uns envers les autres, dépend de l’accès plus ou moins grand que nous avons au pouvoir et à l’exercice du pouvoir.

C’est sans peur d’être contredit que j’ai précisé un peu plus haut que nous étions tous d’accord sur le fait que nous allions recevoir le rapport du panel à haut niveau sur les menaces, les défis et le changement.

Je suis tout aussi convaincu que, selon notre position par rapport au pouvoir, nous aurons des opinions qui seront radicalement différentes sur ce qui constitue les menaces et les défis les plus sérieux, et, par conséquent, sur ce qu’il nous faut changer dans la réalité que nous percevons.

A la fois les puissants et les faibles seront d’accord pour dire que le terrorisme et la guerre sont des menaces sérieuses pour toute l’humanité.

Bon nombre d’entre nous, lorsqu’ils se sont adressés à cette assemblée, ont à juste titre attiré notre attention sur un grand nombre de cas de terrorisme et de guerre auxquels nous sommes tous opposés. Ils ont cité les attentats terroristes qui ont frappé les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie et les victimes africaines et américaines qui en ont résulté, la catastrophe du 9 septembre 2001 qui s’est abattue sur cette ville, les actes terroristes perpétrés en Indonésie, en Arabie Saoudite, au Maroc, en Espagne, en Israël, à Gatumba au Burundi, à Beslan dans la Fédération de Russie et ailleurs.

Ils ont, avec raison, attiré notre attention sur la violence des conflits qui déchirent la République Démocratique du Congo, le Burundi, le Soudan, la Palestine, Israël, l’Irak, l’Afghanistan, la Tchétchénie, l’Abkhazie, le sud de l’Ossétie, etc., ainsi que sur d’autres problèmes non résolus, tels que l’auto-détermination pour le Sahara Occidental, qui réclament tous des solutions.

A la fois les puissants et les faibles seront d’accord sur le fait que la communauté internationale doit agir de concert pour affronter avec succès ces problèmes, ainsi que la menace et le défi que constituent le terrorisme et la guerre.

Cependant, les puissants auront une conviction supplémentaire, à savoir que le terrorisme et la guerre sont la menace centrale, le défi principal auxquels la civilisation doit faire face. Ils en arriveront à la conclusion que, et cela presque par définition, les terroristes les visent eux parce qu’ils sont puissants et que, par conséquent, ils n’ont pas d’autre choix que celui d’identifier le terrorisme comme la menace centrale et le défi principal qu’ils doivent affronter et auxquels ils doivent répondre.

Etant donné leur importance dans l’équation du pouvoir, ce qu’ils décideront constituera nécessairement la réponse mondiale à ce qui constitue la menace centrale et le défi principal envers la société, exigeant divers changements au système de gouvernance mondial. Ce qu’ils décideront se traduira par un ensemble d’injonctions obligatoires, émises par cette Organisation, que tous les membres devront accepter et mettre en œuvre.

A la fois les puissants et les faibles seront certainement tout aussi d’accord sur le fait que la pauvreté, le besoin et le sous-développement sont des problèmes graves qui doivent être traités. Un très grand nombre de ceux qui se sont déjà adressés à cette assemblée ont, à juste titre, attiré notre attention sur la réalité de la misère dont continuent de souffrir des milliards d’êtres humains.

Ils nous ont aussi rappelé, entre autres choses, que certains pays étaient aujourd’hui plus pauvres que ce qu’ils étaient il y a dix ans. Ils ont attiré notre attention sur le fait qu’il est pratiquement certain que nous ne pourrons point atteindre les Objectifs de Développement du Millénaire que nous nous étions fixés il y a quatre ans.

A la fois les puissants et les faibles sont d’accord et seront d’accord sur le fait que la communauté internationale doit agir de concert pour redresser la situation et, par conséquent, répondre au défi et à la menace que constituent la pauvreté et le sous-développement. Toutefois, les faibles, qui sont les pauvres de ce monde, auront la conviction supplémentaire que la pauvreté et le sous-développement constituent la menace centrale et le défi principal que la civilisation doit affronter et surmonter.

Ils seront convaincus que, parce qu’ils sont les victimes quotidiennes de la misère et du besoin, qui tuent chaque année des millions d’êtres humains dans le monde, - ce qui se traduit par de froides statistiques sur une plus courte espérance de vie -, la misère et le besoin sont la menace centrale et le défi principal que l’humanité doit affronter et surmonter, exigeant des changements dans le système de gouvernance mondial pour apporter une réponse efficace à cette réalité.

Toutefois, parce qu’ils n’ont pas le pouvoir, ces milliards d’êtres humains, qui forment l’écrasante majorité de cette même humanité qui a besoin de manger, de boire, d’être protégée des éléments, de rêver, d’aimer, de rire, n’auront pas la possibilité de convaincre cette organisation, décrite de manière dérisoire dans la Déclaration du Millénaire comme « l’organisation la plus universelle et la plus représentative du monde », et de traduire leurs conclusions en injonctions obligatoires, émises par cette Organisation, que tous les Etats membres devront accepter et mettre en œuvre.

Si, pendant un bref instant, nous refusons de céder à la tentation de parler sous forme de paraboles, ce que nous faisons d’ordinaire par peur d’être punis si nous disons la vérité, nous devrons alors dire que tout cela aboutit à une réalité simple et frappante qui est le reflet de la répartition du pouvoir et des richesses dans notre société actuelle.

Les riches et les puissants se sentent, à juste titre, mortellement menacés par le fanatisme des terroristes. Ils ont le pouvoir de répondre à ce danger présent et immédiat avec toute la puissance dont ils disposent et, parce qu’ils sont puissants, ils ont aussi la possibilité de décider pour l’humanité tout entière que la menace principale qu’ils affrontent représente la menace principale pour toute l’humanité.

Les faibles et les déshérités se sentent menacés par un état permanent de pauvreté qui dévaste leur communauté d’une manière tout aussi terrible que l’ouragan Ivan lorsqu’il détruisit l’île de Grenade aux Caraïbes.

Il est tragique de constater que, parce qu’ils sont pauvres, ils n’ont pas les moyens de répondre à ce danger présent et immédiat. Ils n’ont pas non plus le pouvoir de décider pour toute l’humanité que la menace principale qu’ils affrontent représente la menace principale pour toute l’humanité, les riches et les puissants y compris.

Dans la Déclaration du Millénaire, nous parlons du besoin de mettre en œuvre, à l’échelon mondial, des politiques et des mesures qui correspondent aux besoins des pays en développement et aux économies en transition et qui soient formulées et mises en œuvre avec leur participation effective ».

Peut-être que la faute que nous avons commise a été de penser que la répartition actuelle du pouvoir dans la société permettait d’y arriver, de telle sorte que, sans tenir compte de cette considération fondamentale, il serait possible que les préoccupations des déshérités deviennent une priorité dans l’ordre du jour et le plan d’action du monde.

Nous nous sommes rassurés, ou peut-être illusionnés, en pensant que cette Organisation était «l’organisation la plus universelle et la plus représentative du monde», en ayant peur de nous poser la question de savoir si elle l’était vraiment….

Chaque année, nombreux sont ceux d’entre nous qui viennent, et qui continueront de venir, dans cette grande ville pleine de vie, pour plaider, de cette tribune, la cause des déshérités de la planète, en espérant que cette fois leurs voix seront entendues. Puis, chaque année, quelques jours plus tard, nous reprenons notre sac et retournons vers la réalité de nos sociétés, dont la misère nous saute encore plus aux yeux après la splendeur de New York et la majesté de ce lieu qu’est le siège des Nations Unies.

Puis, des résolutions sont passées. Puis, nos représentants permanents, Ambassadeurs aux pouvoirs extraordinaires et plénipotentiaires, nous informent que les résolutions nous obligent à agir pour contrecarrer les desseins mortels des groupes terroristes. Puis, nos Ambassadeurs nous informent qu’un autre appel a encore été lancé tant aux puissants qu’aux faibles pour leur demander de répondre volontairement aux cris des déshérités de la planète.

Excellence, Monsieur le Président de l’Assemblée Générale, votre présidence de la 59ème Assemblée Générale est source de fierté et d’inspiration pour nous, car nous savons que vous ferez face à vos obligations comme un digne fils des déshérités de la planète le ferait. Nous sommes touchés par le fait que vous ayez compris, comme votre prédécesseur Julian Hunte, ce qui doit être fait pour que les Nations Unies deviennent vraiment « l’indispensable maison commune de la famille humaine tout entière ».

Comme un Israëlien nous disait il y a quinze jours à Pretoria, il est peut-être maintenant temps pour nous les faibles et les déshérités d’abandonner nos fauteuils roulants pour commencer à marcher tout seuls, sans l’aide de personne. Peut-être est-ce ainsi que nous parviendrons à construire cet ordre social dont Hammourabi et Kofi Annan parlaient, et dans lequel le droit, et non plus la force, fait loi.

Publié dans Union Africaine

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