Un autre scandale sur la Côte dIvoire secoue la France
Le Courrier d'Abidjan - 6/30/2005 10:53:47 PM
Le livre du lieutenant-colonel Georges Peillon, qui tance les rebelles, la presse française et la politique ivoirienne de Jacques Chirac, pousse lEtat-major français à bander les muscles et à interdire de parole lex-porte parole de Licorne. LElysée a peur dautres révélations provenant de la Grande Muette, qui pourraient léclabousser sur le dossier ivoirien.
Le livre «Ivoire nue» écrit par lancien porte-parole de Licorne, le lieutenant-colonel Georges Peillon, sous le pseudonyme de Georges Neyrac, continue de faire des vagues. Cet ouvrage, dont nous parlions dans notre numéro 442 du 18 juin dernier, critiquait en effet vertement la presse française, notamment RFI, quil accusait davoir «assassiné Jean Hélène, à force de médisances et dignorances mêlées, une presse qui a poussé les Ivoiriens à la xénophobie et à lexaspération et qui exerce un terrorisme intellectuel de bon aloi imposant, quelle que soit la tendance politique invoquée, une rare et stérile pensée unique» et qui dénonçait les rebelles «capables du pire, sans cesse entre le mensonge et la veulerie, la trahison et le pillage, quand ils ne se livrent pas à des exécutions sommaires au coin dune case, au viol de familles entières, le canon des fusils déchirant lintimité de femmes terrorisées et linnocence des enfants abandonnés à ces soi-disant libérateurs».
Pis, il mettait lourdement en interrogation la politique ivoirienne de Jacques Chirac : «Le droit a été bafoué, les principes essentiels de la démocratie ont été niés par le pacte passé avec les rebelles, des mutins, des hors-la-loi. Cest comme si nous avions parié sur le mauvais cheval, comme si lillusion de sauver le monde une nouvelle fois nous avait aveuglés.»
Ces phrases ont eu lire dénerver la haute diplomatie française, alertée par les réseaux ouattaristes dont Jean-Pierre Béjot, un lobbyiste sexprimant dans «La lettre diplomatique» qui ont engagé très rapidement une campagne anti-Peillon. Ce qui devait arriver arriva. Muté dans la ville de Lyon après son séjour en Côte dIvoire, Georges Peillon a été convoqué par son chef dEtat-major à Paris. Après avoir été vertement tancé, il a entendu la sanction : interdiction formelle de parler désormais de son ouvrage «à la presse africaine» sans autorisation préalable de son Etat-major. Pas question de salir une image officielle de la France déjà lézardée en Côte dIvoire à cause des turpitudes de la classe dirigeante actuelle !
Mais il y a loin de la coupe aux lèvres, et laffaire Peillon dégrade encore plus un climat qui était déjà délétère depuis novembre 2004 dans les milieux militaires liés dune façon ou dune autre à la crise ivoirienne. Même parmi les hauts gradés, la sanction contre le lieutenant-colonel Peillon fait jaser. La «Grande Muette» nest plus prête à se taire et à assumer les calculs dapprentis-sorciers de Dominique De Villepin, architecte de Linas-Marcoussis et Premier ministre actuel ; et de Michèle Alliot-Marie, marraine de la boucherie de novembre 2004 exécutée par le général Henri Poncet. Et lon évoque, dans les milieux spécialisés, la dernière réforme du statut des militaires français qui a été discutée par le Parlement fin 2004 et qui leur donne droit à une certaine liberté de parole. Comme lindiquait dailleurs Guy Tessier, président et rapporteur de la Commission Défense de lAssemblée nationale française le 14 décembre 2004, lors de la présentation du projet de loi relatif au «statut général des militaires». «La liberté d'opinion est heureusement confirmée à l'article 4 et la liberté d'expression élargie puisque l'autorisation préalable du ministre de la défense est abrogée», explique-t-il. Cest cette disposition légale que les dernières représailles de lEtat-major contre le lieutenant-colonel Peillon viole, selon certains milieux militaires français en colère. La presse française a déjà été tenue au courant. Le quotidien France-Soir, très en pointe sur les questions ivoiriennes ces dernières semaines, a levé le lièvre et mis le scandale sur la place publique (nous reproduirons larticle pour vous demain).
Face à la sourde révolte dune partie de larmée française, la cellule africaine de lElysée cogite. Elle ne sait pas par quel biais légal «tenir» et faire taire Peillon, mais surtout les autres militaires qui, pense-t-elle, sapprêteraient à témoigner sur la vraie nature de lexpédition coloniale lancée en Côte dIvoire sous le couvert de lOpération Licorne. Elle a été visiblement traumatisée par la fronde des épouses des soldats du 43è BIMA, qui nétaient pas loin daccuser le général Poncet de préparer un sale coup il y a quelques semaines, quand il les a obligées à quitter la Côte dIvoire. Quelles seront les prochaines confidences ? La suite des événements nous le dira. Visiblement, lHistoire nattendra pas 50 ans, dans le cas ivoirien, pour déballer ses secrets.