L’armée française parle et étale ses contradictions

Publié le par Théophile Kouamouo

L’armée française parle et étale ses contradictions - Analyse Le Courrier d'Abidjan - 11/23/2005 7:42:52 PM

Quelques remarques sur la dernière version officielle des Français sur les événements de novembre 2004. Une version tout aussi incohérente que les autres.


A quand un procès public, en France ou en Côte d’Ivoire, sur les événements de novembre 2004 ? Ce serait la seule manière d’en finir avec ce qui devient une détestable attitude française : s’épancher dans les médias pour graver dans le marbre de l’Histoire la version des faits «licornienne» tout en s’acharnant à faire disparaître toutes les preuves pouvant permettre de reconstituer les faits de manière objective ; et en éloignant tous les curieux (y compris les députés français, les demandes de création d’une commission d’enquête parlementaire étant rejetées de manière systématique).
Une fois de plus, la France officielle tente de faire accréditer de manière unilatérale sa thèse consistant à se poser en victime en non en agresseur. Elle le fait à travers la revue TIM, éditée par l’armée de terre. Si «Le Courrier d’Abidjan» publie ce récit tout à fait officiel et mensonger à maints points de vue, que nous avons réussi à nous procurer quelques mois après sa mise à la disposition de la «Grande Muette française», c’est parce que nous sommes persuadés qu’il est toujours bon de figer les versions successives de Licorne, tant elles changent au rythme des nouvelles révélations inattaquables sur le vrai cours des événements. Persuadés qu’il y en aura des nouvelles et que Paris se dédira de nouveau, nous vous offrons en document ce plaidoyer larmoyant français, qui s’annonce comme la ligne de défense judiciaire de l’institution militaire française. Une ligne de défense maladroite qui se bâtit autour de deux grandes articulations : réécrire l’Histoire en éludant, par des artifices de style, ses aspects les moins glorieux ; imposer, par des mensonges bien discrets, une ligne dans laquelle la France est en permanence en légitime défense durant toute la période où elle a fait la guerre directement à la Côte d’Ivoire ; avouer a minima quand il est question de reconnaître ses crimes. Quelques observations sur un document que l’armée française regrettera bientôt d’avoir publié.

Bouaké : toujours pas de reconstitution minutieuse de ce qui s’est passé

Le tabou demeure autour du déroulement exact du prétendu «bombardement» du TC2 par les FDS et de l’inventaire exact des destructions occasionnées par ce «bombardement». La revue TIM, pourtant abondamment illustrée, ne publie aucune photo des sites détruits, ce qui revient à poursuivre une tradition engagée dès novembre 2004. On se souvient que France 2, seule chaîne française à être arrivée à Bouaké avant la «décontamination» du site et la destruction de tous les indices par Licorne, avait refusé de filmer le TC2. Dans la revue de l’armée de terre française, aucun témoin direct du bombardement ne parle. Voici par exemple le témoignage du commissaire-capitaine Boivert : «L’alerte aérienne a eu lieu vers 13 h. l’avion a fait un passage à très basse altitude, sur l’aile, puis est revenu. J’ai entendu un bruit énorme, une rafale. L’avion venait de larguer deux paniers de roquettes. Les vitres ont volé en éclat et j’ai été projeté au sol. Je n’ai pas pris conscience au début que ça avait tapé notre position. Et puis, j’ai entendu des cris, j’ai vu le feu. J’ai eu à peine le temps de sortir que déjà les premiers blessés arrivaient en sang vers l’infirmerie. Là ont commencé les visions d’horreur… Sur le coup, il n’y avait plus de grade, plus de fonction, plus rien. Il fallait aider. J’ai dû faire le travail d’état civil et constater les décès. Des hélicoptères sont arrivés d’Abidjan pour évacuer les blessés. Personne n’a cédé à la panique. Pourtant, pour la plupart, c’était la première fois qu’ils voyaient des morts et des blessés graves et beaucoup ont perdu des amis proches. Il y avait de l’amertume, de l’incompréhension. Mais tout le monde a été remarquable.» Quel récit sommaire de «l’événement» qui a provoqué la déflagration franco-ivoirienne ! Rien n’indique l’endroit exact où les deux paniers de roquettes ont atterri, rien n’explique qu’un officier professionnel ne se rende pas compte que la position où il se trouve a été attaquée, alors qu’elle est décrite par le colonel Destremeau comme un endroit très «circonscrit». Aucun soldat témoin direct de la mort d’un des militaires français ne parle. Paris, depuis novembre 2004, fait pourtant tout pour submerger les Français d’émotion et les rendre solidaires de leurs gouvernants. Où l’on se souvient qu’il n’y a jamais eu de reconstitution judiciaire du déroulement des faits à Bouaké, contrairement à «l’affaire Jean Hélène». Le diable se trouve dans les détails. L’armée française sait qu’elle court trop de risques à raconter une histoire trop précise sur le «bombardement», étant donné que la partie ivoirienne n’a encore rien dit et que de minuscules détails techniques peuvent ébranler tout l’édifice de manipulation.

Yamoussoukro : le récit qui invalide la thèse de la préméditation

Quel être humain raisonnable peut-il imaginer qu’une armée qui a choisi d’attaquer une autre, pilonne ses positions dans une ville, Bouaké, avant d’atterrir dans un aéroport à environ 100 kilomètres, Yamousssoukro, où des détachements de l’armée ciblée se trouvent, alors qu’elle a le choix entre bombarder également l’aéroport de Yamoussoukro – qu’elle peut anéantir en pilonnant les sites où se trouvent le carburant et les explosifs – ; se réfugier au Palais présidentiel de Yamoussoukro, où une partie de la flotte est déjà positionnée ; ou replier à Abidjan ? Quel être humain raisonnable peut-il imaginer qu’une équipe militaire ivoirienne, qui vient d’attaquer une position française, passe plus de 25 minutes sans crainte dans la «gueule du loup» sans prendre aucune précaution ? C’est la version que tente de nous «vendre» l’armée française. «Le 6 à 12 h 55 a lieu le premier vol de la journée. Nous voyons les Sukhoï revenir vides à 13 h 35. Calculant leur temps d’absence, nous savons qu’ils reviennent de Bouaké mais nous ne savons pas ce qui vient de s’y passer», raconte le lieutenant Bellamy du 2è RIMa. 13 h 50 : Le chef OPS demande confirmation de la pause des Sukhoï. 14 h : Le lieutenant reçoit l’ordre de les détruire.» Grotesque ! D’autant plus que par un mensonge discret – une foule de manifestants a déferlé, dès 14 heures (donc sans avoir pris connaissance de la «nouvelle»), sur le 43ème BIMA –, la France prépare son argumentaire du «vaste plan diabolique et prémédité de Gbagbo» contre son armée et ses ressortissants.
Par ailleurs, selon la version française, les soldats français positionnés à Yamoussoukro n’ont pas été tenus informés de la déclaration de guerre que venait de leur faire les FDS ivoiriennes, leurs chefs leur demandant sommairement de détruire les Sukhoï sans leur dire pourquoi. «J’ai fait répéter l’ordre plusieurs fois, je voulais être sûr d’avoir bien compris !», raconte le lieutenant Bellamy. Aucune consigne d’alerte générale, aucune information stratégique sur la «nouvelle donne» devant permettre aux militaires français de se mettre en position défensive, en pointant notamment leurs porte-missiles au ciel dès la destruction du camp de Bouaké ! Sidérant ! Pis : l’armée ivoirienne, après son «forfait» de Bouaké et la destruction de ses Sukhoï, est venue, à travers deux MI-24 en position non offensive – comme le montrent les images prises par Louis Adjé, de la RTI, qui a été blessé dans un des deux MI-24 –, malgré son «plan coordonné», atterrir sur l’aéroport contrôlé par «l’ennemi». En revanche, à ce moment, l’armée française se souvient des réflexes en matière de «guerre». Elle ne laisse pas atterrir les MI-24 après avoir détruit les Sukhoï, mais elle les «traite» au tir Latta (lutte aérienne toutes armes) et les fait battre en retraite. Si l’armée ivoirienne a commencé les hostilités à Bouaké, pourquoi les attitudes «conséquentes» de l’armée française ne sont-elles arrivées qu’après la prétendue «riposte» ? Pourquoi le MI-24 sauvé n’est-il pas revenu détruire l’aéroport, alors qu’il était un véritable baril de poudre ? Les invraisemblances du récit de la revue TIM sautent aux yeux…

Affrontements à l’aéroport d’Abidjan : le mensonge

Pour mettre leur agression des FDS à l’aéroport d’Abidjan sur le compte de la légitime défense, l’armée française ment en disant que tout a commencé à 16 h par des tirs des FANCI sur la force Licorne, qui a obligé cette dernière à occuper les lieux. Ce qui est rigoureusement faux. Licorne a affirmé plusieurs fois qu’elle avait besoin de l’aéroport pour exfiltrer ses ressortissants – c’est pour cette raison qu’elle aurait «balancé» des missiles sur une foule aux mains nues sur les deux ponts. Par ailleurs, l’on sait que Jacques Chirac a étendu son ordre de destruction des Sukhoï à toute la flotte aérienne ivoirienne, dont une partie était à l’aéroport. N’est-ce pas pour cette raison que Licorne – qui déclarait fièrement, le 6 novembre 2004 au soir, contrôler l’aéroport d’Abidjan – a chassé les FANCI des lieux, provoquant des réactions des irréductibles qui ont endommagé un de ses Transall ? En tout cas, dans son récit minutieux, l’armée française oublie d’évoquer les destructions de la force aérienne située à l’aéroport. Difficile en effet de donner deux causalités divergentes à un fait…

Les massacres des corridors «liquidés»

Pour évoquer, dans l’encadré 4, les différents assassinats auxquels ont procédé les soldats Licorne descendant de Man et de Bouaké au niveau des corridors, la revue TIM a une formule : «La foule était derrière et difficile à voir. Il a fallu négocier notre passage.» Les parents d’Antoine Massé, notre correspondant à Duékoué et de tous les civils et militaires morts au passage enragé de Licorne, doivent se résoudre à l’évidence : les dépouilles des leurs ne sont que des paramètres de la négociation du passage de l’armée française.

Hôtel Ivoire : de contradictions en contradictions

La partie du récit français la plus riche en contradictions par rapport aux différentes versions données par le passé est sans conteste celle qui tente de raconter de la manière la moins compromettante le carnage de l’Ivoire. Dans son récit, l’armée française élude le fait que la colonne qui s’est retrouvée à l’Hôtel Ivoire s’était d’abord retrouvée devant les grilles de la Résidence présidentielle de Cocody, «par erreur». La revue TIM prétend que c’est pour évacuer «une soixante de ressortissants» que le convoi blindé – de près de cent chars – est arrivé à l’Ivoire. En moyenne, plus d’un char par ressortissant à évacuer ! En réalité – et les fichiers informatiques de l’Hôtel Ivoire le prouvent –, il n’y avait que 15 ressortissants de l’Union européenne à l’Ivoire. Les évacuations étaient terminées, et ces 15 derniers ressortissants avaient refusé de partir. TIM ment par ailleurs en prétendant que les ressortissants ont été évacués par la lagune vers le 43è BIMA après le départ des troupes françaises… sans les otages qu’elles étaient venues chercher ! Les 15 personnes en question pourront témoigner devant un tribunal le moment venu pour «broyer» cette version des faits. Et arriver à une interrogation : si Licorne n’est pas venue à l’Ivoire évacuer des ressortissants, qu’est-ce qu’elle est venue y faire, après avoir échoué à pénétrer la Résidence présidentielle de Cocody ? Pourquoi est-elle restée à l’Hôtel du Golf jusqu’au 27 novembre, bien après la fin des opérations d’évacuation des ressortissants occidentaux ?
Sur la réalité de la fusillade de Licorne qui a occasionné la mort de plusieurs dizaines d’Ivoiriens, l’armée française abandonne de nombreuses thèses. Celle de Michèle Alliot-Marie, du 10 novembre 2004 : «C’est qu’il y a eu des échanges de coups et tirs entre la foule, les jeunes patriotes, et les soldats, militaires et gendarmes ivoiriens qui étaient en interposition entre la foule et les blindés français.»Celle du général Henri Poncet, le 13 novembre 2004 : «Les tirs sont partis sur nos forces depuis les derniers étages de l’hôtel Ivoire, la grande tour, et depuis la foule. Dans ces conditions, nos unités ont été amenées à faire des tirs de sommation et à forcer le passage en évitant, bien évidemment, de faire des morts et des blessés parmi les manifestants, mais je répète encore une fois, les premiers tirs n’ont pas été de notre fait.» Celle du général Bentégeat, du 3 décembre 2004 : «Nous avons eu le sentiment d’un bout à l’autre que ce fameux colonel de gendarmerie qui accuse aujourd’hui l’armée française avait en réalité cherché à provoquer l’incident. Que ce sont les gendarmes ivoiriens qui ont, à un moment, cherché à se saisir de certains de nos soldats pour les envoyer dans la foule. Et c’est en ce moment que nous avons ouvert le feu, après des tirs de sommation.» Celle du colonel Destremeau, affirmant dans Libération que ses «marsouins n’ont pas tiré à balles réelles sur des Ivoiriens désarmés.» Dans sa dernière version en date, la France n’évoque plus une foule armée à l’Ivoire (contrairement à celle qu’elle prétend à propos de la foule du 43è BIMA), mais elle la qualifie de «vociférante, vindicative et contrôlée par des leaders.» Elle ne parle plus de gendarmes ivoiriens qui ont tué des manifestants ivoiriens ou qui ont tenté de jeter des militaires français dans «la fosse aux lions.» Elle évoque «des tirs de sommation, puis des tirs d’intimidation pour disperser la foule, qui ne bouge pas, puis des tirs réels afin de faire reculer les manifestants.» Ouf ! La magie des experts balistiques sud-africains pousse-t-elle l’armée française à reconnaître enfin ce qu’elle s’est toujours refusée à admettre ? La vérité est en route, il faut juste pousser !

Théophile Kouamouo - kouamouo@yahoo.com

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D
tu ne te mouche pas avec le coude . comment peut tu mentir avec un tel appoint? tu n'était pas sur les lieux a bouaké toi non plus,tu n'as rien vu mais tu en parle comme si tu savais!<br /> je suis soldat j'y était et je pourais témoigner le moment venu, honte à toi grand copain à gbagbo le menteur!!
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Puisque tu y étais, tu doit connaitre avec certitude le donneur d'ordre de ce bombardemùent et tu devraais facilement reconnaitre ceux qui ont tiré et les raisons de cette attaque. Alors, puisque tu es un témoin important, apporte nous ici ton témoignage avec si possible de quoi l'étayer. Pour ma part, effectivement, je n'y étais pas, mais je vois mal Laurent Gbagbo donner l'ordre de tirer sur une caserne de militaires français, d'autant qu'il progressait à grand pas dans la reconquète du Nord. Explique moi comment un chef d'Etat comme lui pourrait commettre une telle bévue? Mais il est vrai que tu es militaire et que tu n'est pas payé pour réflechir.