L’Histoire est une éternelle répétition

Publié le par Nathalie Yamb

Message d'un visiteur de votre blog: Libres, totalement et
définitivement - Article de Nathalie Yamb paru dans le Courrier
d'Abidjan le 29/6/06

L’Histoire est une éternelle répétition et chaque révolution a ses acteurs qui
réapparaissent de façon cyclique. L’accession d’Haïti à l’indépendance est riche
d’enseignements et mérite d’être plus amplement étudiée en Afrique, afin de
permettre une meilleure analyse des crises qui secouent le continent, en Côte
d’Ivoire notamment.


« Je vous envoie, mon cher commandant, un détachement de cent cinquante hommes
de la garde nationale du Cap, commandés par M. Bari, il est suivi par vingt huit
chiens bouledogues. Ces renforts vous mettront à même de terminer entièrement
vos opérations. Je ne dois pas vous laisser ignorer qu’il ne vous sera passé en
compte aucune ration, ni dépense pour la nourriture de ces chiens. Vous devez
leur donner des nègres à manger. Je vous salue affectueusement. » Lettre du
général Rochambeau, successeur de Leclerc à la tête des troupes françaises
chargées par Napoléon Ier de reconquérir Haïti, au général Ramel le 05 avril
1803.


1791. La révolution des esclaves qui bat son plein à Saint-Domingue est rejointe
par Toussaint Louverture, qui en devient rapidement l’un des leaders
charismatiques. Afin de mater le soulèvement, le gouvernement français y dépêche
des troupes. Cependant, avant que l’expédition militaire ne débarque sur l’île,
une insurrection éclate à Paris, la monarchie est renversée et la bourgeoisie
esclavagiste chassée.

Face à l’évolution de la situation, Toussaint Louverture, au gré d’alliances
versatiles, assoit son autorité sur Saint-Domingue et étend sa base populaire en
fédérant de plus en plus d’opprimés, quasiment tous originaires d’Afrique,
autour de son combat pour l’émancipation des Noir(e)s. Toussaint s’appuie
notamment sur Jean-Jacques Dessalines, qui mène des attaques fulminantes contre
leurs adversaires. Dans le camp adverse, les défections se comptent par
milliers, les pions locaux de l’oppresseur sont démasqués et jetés en prison par
leur propre soldatesque.

Entre temps, cependant, la révolution française s’est essoufflée, et la classe
politique métropolitaine, nostalgique de l’opulence procurée par l’exploitation
sans retenue des colonies, est de nouveau au pouvoir à Paris. Pour retrouver les
mirifiques profits d’antan et satisfaire l’appétit vorace de la bourgeoisie,
faisant fi de la mise en garde de Toussaint Louverture (« Nous avons su
affronter des dangers pour obtenir notre liberté, et nous saurons affronter la
mort pour la maintenir »), Napoléon décide le rétablissement de l’esclavage.

Traquenards et trahisons entre « amis »

S’ensuit une période trouble, conséquence de l’attitude ambiguë de Toussaint,
qui, tout au long de son combat pour la liberté, n’a jamais envisagé
l’indépendance totale de son île. Il doit faire face à l’exaspération d’une
nouvelle génération d’hommes, anciennement esclaves, qui s’est débarrassée du
postulat de son infériorité à l’homme blanc.

En répugnant à réprimer sévèrement ceux qui prônent le retour à l’ordre ancien,
en rechignant à expurger les éléments douteux de son camp, et en refusant
d’exposer et de clarifier les objectifs de la mission qu’il s’est assigné,
Toussaint sème la confusion et la frustration parmi ses supporters et provoque
la désagrégation du front anti-esclavagiste. Confronté à l’insurrection de ses
propres forces, Toussaint se ressaisit et organise la résistance, qui va de
succès en succès.

Nonobstant les victoires des résistants et la précarité des troupes françaises,
Toussaint, adepte du compromis et de la négociation, demeure persuadé que le
conflit avec Paris est une erreur catastrophique. Affaibli par cette conviction,
il engage des tractations souterraines avec l’ennemi qui aboutissent à la
conclusion d’un accord portant sur la réintégration de l’armée de Toussaint dans
l’armée française et le maintien de ses gradés et généraux contre la garantie du
non rétablissement de l’esclavage.

Toussaint vient de tomber tête baissée dans le piège tendu par Leclerc, qui,
pour gagner du temps en attendant des renforts de la métropole, lui a dissimulé
que le rétablissement de l’esclavage est non négociable et déjà effectif en
Guadeloupe voisine. Peu après la signature de l’accord, Toussaint Louverture,
qui se rend à une invitation-piège du général Brunet, est arrêté et déporté vers
la métropole, où il décède en détention en avril 1803.

La mort plutôt que l’esclavage

Lorsque la nouvelle du rétablissement de l’esclavage est enfin confirmée, le feu
de la révolte embrase l’île. Dessalines prend la tête de la rébellion et
affronte le général Donatien Marie Joseph de Vimeur, vicomte Rochambeau,
successeur de Leclerc, dont la seule mission et le plus grand plaisir sont
l’extermination de la « racaille » Noire.

Jean-Jacques Dessalines ne souffre pas du même complexe que Toussaint Louverture
envers la France. Son objectif est clair et unique : l’indépendance. Loin d’être
effrayés par la cruauté et la brutalité des méthodes employées par Rochambeau,
Dessalines et ses troupes s’en inspirent et appliquent la loi du Talion. La
violence magistrale de la riposte dessalienne, soutenue par une population noire
prête à mourir plutôt que de retourner à la condition d’esclave, est telle que
le 29 novembre 1803, après plus d’un an d’atroces combats, Rochambeau et les
troupes françaises vaincues quittent la partie Ouest de l’île de Saint-Domingue,
qui est proclamée république indépendante d’Haïti le 1er janvier 1804.

Mais la France, qui n’arrive pas à digérer la défaite des troupes de Leclerc et
le massacre des colons blancs, n’accepte pas l’indépendance d’Haïti. De
connivence avec la communauté internationale, composée d’autres Etats
colonisateurs qui ne souhaitent pas voir l’exemple d’Haïti contaminer leurs
territoires, elle s’emploie à l’isoler, aussi bien économiquement que
politiquement. Elle réclame le versement d’une indemnité pour prix de
reconnaissance de l’indépendance de l’île. En 1825, soit plus de 20 ans après la
victoire de Dessalines, Charles X signe un décret « concédant » l’indépendance
en contrepartie du paiement de 150 millions de francs-or (plus tard réduit à 90
millions), somme payable sur 3 ans et qui correspond au budget annuel de la
France. Jean-Pierre Boyer, gouverneur d’Haïti, accepte le marché, détruisant
ainsi de façon pérenne l’économie du pays. Ironie suprême, Haïti sera obligée de
contracter des emprunts notamment auprès de Paris, pour s’acquitter de cette
dette odieuse, qu’elle achèvera de rembourser plus d’un siècle plus tard !

Les négriers contemporains préfèrent voir leurs victimes embarquer dans des
trains, modernité oblige !

A la grande époque de l’esclavage, des Noirs prenaient une part active à la
Traite en vendant leurs frères aux blancs. Ils étaient qualifiés de négriers,
nom qui désignait également les navires qui emportaient les victimes de ce
commerce inhumain. Ayant sacrifié la liberté de leurs concitoyens sur l’autel de
leur enrichissement personnel, ces traîtres regardaient alors leurs frères,
enchaînés et entassés dans des cales suffocantes, ramer vers leurs destins
tragiques. Aujourd’hui comme jadis, la France s’appuie sur des hommes de main,
des marionnettes locales, pour mener à bien son entreprise impérialiste. Les
négriers contemporains en Côte d'Ivoire perpétuent cette triste tradition, même
s’ils préfèrent voir leurs victimes embarquer dans des trains, modernité oblige,
sans doute !

Comme Toussaint Louverture, Félix Houphouët-Boigny s’est battu pour sa patrie,
la Côte d’Ivoire. L’abolition des travaux forcés dans les colonies est à mettre
à son crédit. Mais Houphouët-Boigny n’ira jamais jusqu’au bout de son combat.
Comme Toussaint, il lui est impossible d’imaginer une indépendance totale, en
dehors du cadre institutionnel de l’Etat français. Et c’est ainsi qu’il signe
lui aussi un accord avec l’oppresseur. C’était le 24 avril 1961 et jusqu’à ce
jour, cet accord « de coopération et de défense », le Pacte colonial, entrave la
liberté du peuple ivoirien aussi sûrement que les chaînes qui liaient les pieds
et les poignets des esclaves de Saint-Domingue. Comme le père de l’indépendance
haïtienne, celui de la Côte d’Ivoire est tombé dans le grossier traquenard de la
France, qui fit semblant de concéder l’indépendance à son pays, pour mieux
continuer d'exploiter ses richesses et aliéner son peuple en le maintenant dans
la pauvreté, le sous-développement et l’ignorance.

Comme Napoléon autrefois en Haïti, Jacques Chirac se trouve aujourd’hui
confronté à un peuple décidé à conquérir son droit à l’autodétermination. Il a
beau avoir donné au général Poncet et à ses complices chefs d’Etat des pays
frontaliers, trop heureux de s’exécuter, l’ordre de massacrer des hommes, des
femmes et des enfants africains en Eburnie, rien n’y fait : le combat pour la
liberté s’intensifie au contraire. Mais alors que la France du 21ème siècle
continue d’appliquer les méthodes haineuses et sauvages de Rochambeau, les
Ivoiriens, conduits par Laurent Gbagbo et Mamadou Koulibaly, sans jamais céder
au découragement, privilégient l’arme du Droit et de la Légalité.

A Haïti, il a fallu douze ans de guerre, de trahisons, de carnages et de
soulèvements pour aboutir à l’indépendance. Combien de temps faudra-t-il encore
à la Côte d’Ivoire pour s’émanciper du Pacte colonial ? Peu importe, en fait.
Les sanctions, perfidies et autres campagnes coloniales, si elles en repoussent
l'échéance, ne peuvent modifier ni l’essence, ni la finalité de la lutte en
cours. L’Etat français, qui en d'autres occasions l’a pourtant déjà appris à ses
dépends, se refuse encore à capituler devant l’absurdité de sa démarche, mais
l’évidence de l’inutilité de la guerre faite à une nation aussi déterminée que
le peuple ivoirien finira par s’imposer d’elle-même à l’opinion publique et aux
dirigeants français.

« Il existe des hommes malheureusement trop puissants […], qui ne veulent voir
d’hommes noirs, ou tirant leur origine de cette couleur, que dans les fers de
l’Esclavage » (Louis Delgrès)

Inspiré par le frère de Louis XVIII, Jacques Chirac n’accepte pas les velléités
d’affranchissement de Laurent Gbagbo et appelle lui aussi au versement d’une
rançon pour accepter l’émancipation ivoirienne. Mais au lieu de le faire
ostensiblement, il préfère œuvrer par des voies souterraines, tout en s’appuyant
sur la bienveillante complicité de la communauté internationale.

Les mécanismes que l’on retrouve aujourd’hui dans la dette des pays du Tiers
Monde sont réunis à Haïti dès le dix-neuvième siècle. A travers le Pacte
colonial, la dette est également établit comme élément fondateur de l’Etat
ivoirien et de la plupart des pays d’Afrique dits francophones. Les ressources
naturelles doivent impérativement être proposées en priorité à la France, qui
les achète de moins en moins cher, puisque les cours des matières premières sont
aujourd’hui encore fixés par les états néo colonisateurs. L’essentiel des
revenus résultant de ce commerce biaisé sert en grande partie à rembourser une
dette qui l’est déjà depuis longtemps, pendant que, placé dans un compte
d’opérations auprès du Trésor français, le reliquat est de facto géré par
l’Elysée.

Les Africains n’ont-ils pas le droit de demander pourquoi leurs énormes
richesses sont pillées, malgré le fait qu’ils en ont davantage besoin que
d'autres ?
(Mahmoud Ahmadinejad, Président de la République islamique d’Iran, à G. W. Bush)

En exerçant à la fois un chantage politique et économique, cette dette sert à
préserver les intérêts des gouvernements du Nord et de leurs entreprises en
rendant utopique tout développement au Sud. Depuis plus de quatre décennies, à
cause de l’étau de la « dette », savamment entretenu à coup « d’aide au
développement », aucun aménagement majeur de l’espace de vie des Africains ne
peut être effectué, aucun investissement important n’est fait pour le
développement des infrastructures routières, portuaires, sanitaires,
industrielles ou énergétiques. Depuis plus de quarante ans, l’exploitation des
richesses de ses « anciennes » colonies profite exclusivement à la France et aux
dictateurs qu’elle a mis en place pour défendre ses intérêts. En Afrique
aujourd’hui comme en Haïti autrefois, la France s’arroge le droit de
s’approprier des ressources qui ne lui appartiennent pas et de décider ce qui
est bon ou non pour les sous-hommes à la peau noire.

La France ne peut pas tolérer la dénonciation par les dirigeants ivoiriens de
ces « accords » qui fondent le non droit en droit. Elle se fixe donc des
objectifs clairs : frapper du sceau de l’infamie ceux qui ont osé goûter aux
effluves de la liberté. Ecraser toute tentative d’émancipation remettant en
cause le spoliateur cercle vicieux qu’elle a mis en place et qui est le socle de
son économie. Maintenir les Africains dans l’asservissement, quoiqu’il en coûte.

La résistance à l’oppression est un droit naturel. N’en déplaise à Chirac, à
Schori, à l’ONU et aux français aux nez épatés et aux lèvres pâteuses qui
dirigent encore ci et là les derniers bastions de la France à fric. Depuis
l’élection présidentielle de 2000, les Ivoiriens ont fait leurs ces paroles de
Malcolm X : « Nous déclarons notre droit sur cette terre, à être des êtres
humains, à être respectés en tant qu’êtres humains, à accéder aux droits des
êtres humains dans cette société, sur cette terre, en ce jour, et nous comptons
le mettre en oeuvre par tous les moyens nécessaires. » La France, qui défend bec
et ongles l’application du texte juridique le plus épouvantable que l’Afrique
dite francophone aie connue depuis l’abolition de l’esclavage, est reconnue
comme ennemi commun par un nombre sans cesse croissant d’Africains. Au fur et à
mesure qu’elle se prolonge dans le temps, la lutte des Ivoiriens pour la
conquête de leurs droits fondamentaux à la liberté et à l’autodétermination
prend de l’ampleur, s’internationalise. Jusqu’au jour, quel qu’il soit, où ils
seront libres, totalement et définitivement. Et avec eux, le reste de l’ancien
empire colonial d’un pays qui, par son histoire et son inaptitude à en tirer les
leçons, confirme qu’il n’a pas sa place parmi les grandes nations de ce monde.

Nathalie Yamb

Publié dans Francafrique

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