Claudy Siar (Animateur à RFI) : - "J`ai honte de ce que la France fait en Côte d`Ivoire``

Publié le par Claudy Siar


Claudy Siar (Animateur à RFI) : - "J`ai honte de ce que la France fait en Côte d`Ivoire``
Le Temps - vendredi 6 janvier 2006
Claudy Siar, l'un des animateurs vedettes de RFI, “la radio mondiale” se libère sans porter de gant à l'occasion d'un forum organisé par “Le Temps” avec des internautes. Panafricaniste convaincu, il donne des coups à tout le monde tel qu'on ne l'a jamais connu. Bref, lisez plutôt !

C'est quoi "La Génération consciente" et qui peut s'identifier à ce concept ?

Cette idée de Génération consciente a été lancée au début des années 1990 en France, lorsque j'organisais en 1991 la première manifestation pour protester contre des propos insultants proférés par le chanteur Charles Tréné en l'endroit des Noirs sur France 2. Il disait et je cite: " les Noirs ils sont gentils, on les aime bien, on les traite comme des adultes, or il faut d'abord les éduquer…. Les Noirs, n'ont pas construis Notre Dame, La Tour Effel, ni les Pyramides " Même s'il se trompe sur les Pyramides du fait qu'il ne connaît pas l'histoire, j'ai été outré que de tels propos soient dits sur la chaîne publique française. Des paroles insultantes à l'endroit des Noirs dans le cadre d'un best off d'une émission. C'est comme cela que Génération consciente est née. Et après, il y a eu la première manifestation pour la commémoration de l'abolition de l'esclavage. Le mouvement n'a pas pignons sur rue. C'est un groupe de gens qui réfléchit toujours aux enjeux, à la pertinence de notre positionnement en fonction des problèmes. Je suis très fier aujourd'hui qu'il existe près de 42 Clubs de Génération consciente en Afrique. Je suis comblé que des jeunes s'identifient à cette idée. Il n'y pas une question d'âge dans Génération consciente. Nous appartenons tous à la même génération des problèmes, des enjeux de l'Afrique et des combats que nous devons remporter et des défis que nous devons relever. C'est ce qui est important. Ce n'est donc pas pour le moment un mouvement qui organise des grosses manifestations mais ça va le devenir.

C'est dans l'esprit en fait ?

C'est un tout petit peu cela. Mais avec le temps, elle deviendra quelque chose de plus important. Il faut souligner que les têtes pensantes des Générations conscientes sont autonomes partout en Afrique. Elles sont libres de faire ce qu'il y'a à faire dans leur pays en fonction de l'expertise qu'elles ont. Il n'y donc pas de forme pyramidale entre Les Générations conscientes de Paris et celles d'Afrique.

Qu'est ce qui peut vous faire dire par exemple que je fais partie de la Génération consciente ?

Si vous appartenez à un esprit étant conscient de ce qui se passe, si vous voulez positivement changer les choses, vous appartenez à la Génération consciente. Si à travers votre travail au quotidien, vous combattez les injustices, vous luttez pour le progrès de votre société. En un mot, si vous combattez pour que les choses changent, vous êtes une Génération consciente. Voila l'idée. Ce n'est pas comme lorsqu'on a une carte d'une association ou d'un parti politique.

Croyez-vous au panafricanisme?

Je crois à l'idée du panafricanisme, parce qu'elle est aujourd'hui la seule voix pour que nous puissions nous faire entendre dans le concert des Nations. Mais aussi la seule voix pour que l'Afrique retrouve à la fois son intégrité territoriale, intellectuelle, spirituelle et économique. Cette dignité est vitale pour moi. Par contre, je ne croix pas un seul instant au panafricanisme politique auquel nous assistons aujourd'hui. C'est une farce.

C'est-à-dire ?

A aucun moment, je n'ai vu les problèmes de l'Afrique se régler à travers l'OUA aujourd'hui l'UA. Cette union me semble être un appareil, une machine complètement sclérosée. Cette situation me pose un vrai problème, parce que je n'ai pas le sentiment que les chefs d'Etat et de Gouvernement enfermés dans leur Tours d'ivoire aient bien compris ce que les peuples d'Afrique attendent et ce qu'ils veulent. Pourtant, ils voient bien que la misère ne peut pas continuer. On me parle de pays émergeant. C'est faut. Nos pays d'Afrique s'enfoncent de jour en jour.
Heureusement qu'il aura quoiqu'il arrive, la volonté, la force des peuples pour se relever, mais ce ne sont pas ces politiciens qui vont relever le continent.

Pensez-vous êtres suffisamment écoutés pour changer quelque chose à ces injustices que vous dénoncez ?

Il ne faut pas poser le problème de cette façon. Je ne mène pas ce combat pour qu'on dise Claudy a fait ceci ou cela afin que l'Afrique sorte de sa misère. L'idée pour moi n'est pas de personnaliser le combat, d'avoir un ego surdimensionné en disant " Si je ne suis pas sûr qu'on attende mon propos, je ne mène aucun combat ". Je sais que tous les jours, les gens entendent mon propos, même si ce n'est pas ceux qui ont aujourd'hui le pouvoir de décider en Afrique. Demain, parmi ces personnes il y'aura peut être des futurs décideurs de l'Afrique qui auront été élevés dans la Génération consciente. Ces gens-là auront une autre façon de faire la politiques de l'Afrique lorsqu'ils seront un jour en fonction. C'est ce qui est important.

En tant que combattant pour la réhabilitation des peuples noirs et défenseur de l'égalité entre tous les peuples, quelle a été votre réaction en novembre 2004, lorsque l'armée française a tiré sur les Jeunes ivoiriens aux mains nues ?
… (Son visages s'attriste)…Ouf ! J'ai vu des images à la télévision et j'ai aussi des images que certaines personnes m'ont envoyées dans le cadre de mon projet de film sur la crise ivoirienne qui va s'appeler Défense d'ivoire. C'est une production qui sera consacrée sur tout ce qui n'a pas été dit ou ce que l'on n'a pas montré. Ces images sont effroyables et horribles. J'ai vu des choses terribles qui pour moi en tant que Français, me font honte. Ces images font que je ne suis pas fier de ce que mon pays a fait en Côte d'Ivoire. Je ne suis pas fier de ces actes machiavéliques et bizarres de la France pour déstabiliser un pays.

Pourquoi bizarres ?

C'est de donner un semblant de pouvoir à des gens qui ont pris des armes pour faire entendre leur voix. Lorsqu'on a été dans un précédant aussi fâcheux, on ne peut plus entendre qu'un pays soit un Etat normal. Le pays est coupé en deux. Les gens souffrent. Certains ont perdu tous leurs biens, d'autres n'arrivent pas à donner à manger à leur enfants, pendant que d'autres encore s'enrichissent grâce la guerre. Ils ont de grosses fortunes, ils ont des villas en Afrique et en Europe, ils achètent des boîtes de nuit. Des deux côtés, les différents leaders ne regardent pas les souffrances du peuple. Ils n'entendent pas le cri des Ivoiriens à travers les artistes qui disent " On est fatigué". Ces leaders combattent tous pour la conquête du pouvoir. Ça fait vraiment honte que des gens puissent prendre des armes contre leur propre pays. Je suis aussi très déçu du rôle que mon pays, la France, a joué dans la crise ivoirienne. Surtout le fait d'avoir ouvert le feu sur des manifestants aux mains nues.

Comment êtes-vous arrivé dans la musique ?
Mes parents, mes frères et sœurs écoutaient tous la musique lorsque j'étais gamin. Je faisais de la danse au départ, et après j'ai voulu être dans le monde de la musique. Je suis donc arrivé à la musique parce que je suis né dedans. Mais je me suis accroché à la chose musicale à cause de sa spiritualité, cette force que la musique peut apporter pour véhiculer le message du militant que je suis devenu. C'est ainsi que je me suis forgé aux textes de Bob Marley. Nous sommes tous les deux des descendants d'esclaves. Et je me retrouvais dans la force des messages qu'il véhiculait.

Dites-moi dans quel état d'esprit étiez vous lorsque vous avez écrit la chanson "Ma Dignité" ?

Tout le monde pense que "Ma Dignité" est le titre de cette chanson. Le morceau s'intitule "Brûlant violant". Je l'ai composé parce que je faisais à la fois mon bilan sur mon histoire, mes combats, mes histoires d'amour, mes rapports avec les femmes, mes illusions, mes désillusions, la souffrance que j'ai fait endurer à certaines femmes. Je me dis que c'est tout cela qui fait un homme. "Brûlant violant " a été composée en pensant à toutes ces choses-là.

En matière de musique, à qui pourriez-vous vous identifier ?
A personne, parce que je n'en aurai pas la prétention. Je ne peux en aucun cas me comparer à un artiste dont l'art est le métier. Il se réveille avec, il passe la journée avec, se couche avec. Or moi, j'ai d'autres cordes à mon arc. Je n'ai donc pas le sentiment d'être un artiste au même titre que celui qui fait ce métier et qui en vit et qui exerce cette passion en plein temps. L'intérêt de ce que je fais résulte dans les textes qui sont les miens.

Nous avons appris que votre émission devait être censurée parce que vous faites trop la part belle à la musique ivoirienne?
Ce n'est pas le fait que je fasse la part belle à la Côte d'Ivoire dans mon propos. C'est mon discours militant en général qui a dérangé certains. Mais lorsque le nouveau PDG m'a reçu et a entendu mon propos, il a compris le personnage que j'étais et m'a parlé en ces termes : "Vous n'êtes pas du tout la personne qu'on m'a décrite. Je vous renouvelle ma confiance". Il a même augmenter mon temps d'antenne qui est passé de 20 à 40 minutes. Ceux qui me jugeaient à tord doivent certainement se morfondre, parce que tous ces événements qui se passent en Afrique me donnent raison dans mon analyse des choses.

“Couleur Tropicale" fait la promotion de la musique d'Afrique et des Caraïbes. Pourquoi présentez-vous une si belle émission sur une radio française quand on sait que ce pays n'a jamais voulu le bien-être du continent noir et de Caraïbes ?
Je vous comprends parfaitement, mais il faut aussi reconnaître que malgré les tragédies de l'histoire, malgré ce que nous vivons aujourd'hui ici en France, avec la loi du 23 février 2005 pour la reconnaissance du rôle positif de la France dans la colonisation c'est-à-dire réhabiliter les crimes de la colonisation ; malgré donc toutes ces injustice, Radio France internationale me permet de dire ce que j'ai au fond de moi. Je ne pense pas que 20 ans au paravant quelqu'un puisse s'exprimer sur cette radio comme je le fais. Malgré donc la réticence et le conservatisme que l'on attend dans le débat politique, nous pouvons nous exprimer. C'est comme cela qu'il faut prendre mon intervention sur RFI.

Avez-vous été victime de racisme à RFI ou dans la vie de tous les jours. Racontez-moi une anecdote si ce fut le cas ?
Ha ! Oui à RFI, je n'ai vu que du racisme. C'est pour cela que j'y reste. J'adore être victime de racisme. C'est la radio la plus raciste que je connais….. (Rire)… Evidement non! Je plaisante. Mais je suis souvent victime dans la rue avec le regard des gens. Par un simple contrôle de police. Je suis collectionneur de voitures un peu particulières, alors les policiers abusent dans leur contrôle à cause de la couleur de ma peau. Mais bon je fais avec.

Le 23 février 2005 dernier l'Assemblée nationale française avait voté une loi demandant aux historiens d'enseigner les bienfaits de la colonisation à l'école. En ce moment, une pétition pour l'abrogation de cette loi circule, l'avez-vous signée ?
Oui, je l'ai signée parce que comme beaucoup de gens évidemment, c'est une loi inutile. C'est une insulte. Pas simplement aux personnes qui ont été victimes de la colonisation. Mais c'est une insulte aussi à cette grande idée de la France, de liberté, de fraternité et d'égalité. C'est une grande utopie. Normalement cette France donneuse de leçon, ne doit pas accepter cette idiotie. Il faut retenir tous de même que cette loi révèle en tout cas, l'esprit conservateur qui prévaut en France. Cette pétition pour dire qu'on en a marre de ces politiciens. Que les langues se délient pour repousser toute forme de racisme et d'injustice que nous combattons depuis, avec notre verbe. J'espère que tout ce débat qui anime la France va nous permettre de revenir à quelque chose de plus normal et va pouvoir libérer les choses. Peut être qu'à ce moment là, on trouvera un terrain d'entente pour aller au-delà de nos différences qui est d'ailleurs le nom d'une émission sur France 2 que nous allons reprendre, début février.

Comment voyez-vous l'avenir de la jeunesse africaine ?
Je suis hyper optimiste parce que quoiqu'il arrive, cette jeunesse prendra la place de tous ces vieux crocodiles qui sont au pouvoir partout en Afrique… de tous ceux qui collaborent avec ces crocodiles, tous ceux qui acceptent ce néocolonialisme. Mais il y'a tout de même des chefs d'Etat qui pensent au devenir de l'Afrique. C'est ce qui me rassure parfois. La première fois que j'ai rencontré le Présidant Gbagbo, je lui ai dit monsieur le Président, avec vos collègues, quand allez-vous mettre un terme au F CFA ? Cette monnaie empêche le développement économique en Afrique francophone. C'est une monnaie coloniale. Il m'a répondu en disant "J'en ai parlé à certains chefs d'Etat mais tous ont peur". J'avais compris que lui comme moi, ne voulaient plus de cette monnaie parce qu'elle n'est plus un gage de prospérité pour l'Afrique. J'ai posé la même question à d'autres chefs d'Etat que j'ai rencontrés. Ils ont confirmé la réponse de Gbagbo. Je ne les nommerai pas ici.

Publié dans Francafrique

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