Traduire la Banque mondiale et le FMI en justice !

Publié le par Afrikara.com

Article paru sur Afrikara.com
26/12/2006

Il fait peu de doutes que, à dessein, les politiques promues en Afrique et imposées par la Banque mondiale et le FMI d’une part ne le sont pas dans l’intérêt des Africains, d’autres part contribuent à la paupérisation volontaire du continent. Des privatisations sans secteur privé local suffisamment solide pour racheter des actifs publics dans les modalités qui ont été appliquées n’ont été que des moyens de dépossession des Africains de leurs ressources stratégiques collectives. La libéralisation sans droit de la concurrence ni protection des consommateurs mène au contraire des promesses libérales, une augmentation du coût de la vie, des services de bases par ailleurs rationnés, eau, électricité, énergie, télécommunications, offrant aux multinationales et aux classes courtières des immenses profits prédateurs. Les politiques dites d’ajustements fabriquent un endettement factice, inique et odieux, paraphé par des exécutifs africains issus d’élections que chacun sait truquées à l’avance, mais qui donnent un semblant de légalité à la dépossession des Africains. Par les flux financiers de «remboursement», par la promotion d’importations de produits impropres à la consommation ou à prix anticoncurrentiels, par les subventions euro-américaines qui laminent la cotonculture sahélienne, par la pompe aspirante des paradis fiscaux qui écrèment les marchés financiers du monde et attirent les fortunes acquises contre la misère de peuples entiers, la Banque mondiale et le Fmi, pris comme éléments clés d’un système de confiscation du monde, devraient mériter, urgemment une traduction de leurs crimes économiques en justice. Guerres, instabilités politiques, prostitutions et prolifération du Sida ont explosé en raison directe des effets des politiques FMI-Banque mondiale, il n’est pas possible que cette criminalité en col blanc reste impunie et donne … des leçons de transparence !

 

Dans cette veine Afrikara donne la parole au Comité d’Annulation de la Dette du Tiers-Monde qui milite de longues dates pour la fin de l’endettement prédateur et pour un ordre économique mondial plus juste.

 

 

 

Mettre fin à l’impunité de la Banque Mondiale , par Éric Toussaint

 

 

Est-il possible de traduire la Banque mondiale en justice ?

 

Contrairement à une idée répandue, la Banque mondiale ne bénéficie pas en tant qu’institution, en tant que personne morale, d’une immunité. La section 3 de l’article VII de sa charte (articles of agreement) prévoit explicitement que la Banque peut être traduite en justice sous certaines conditions. La Banque peut être jugée notamment devant une instance de justice nationale dans les pays où elle dispose d’une représentation et/ou dans un pays où elle a émis des titres [1].
Cette possibilité de poursuivre la Banque en justice a été prévue dès la fondation de la Banque en 1944 et cela n’a pas été modifié jusqu’à présent pour la simple et bonne raison que la Banque finance les prêts qu’elle accorde à ses membres (pays-membres) en recourant à des emprunts (via l’émission de titres -bonds-) sur les marchés financiers. A l’origine, ces titres étaient acquis par des grandes banques privées principalement nord-américaines. Maintenant, d’autres institutions, y compris des fonds de pension et des syndicats, en font aussi l’acquisition.

 

Les pays qui ont fondé la Banque mondiale ont considéré qu’ils n’arriveraient pas à vendre des titres de la Banque s’ils ne garantissaient pas aux acheteurs qu’ils pourraient se retourner contre elle en cas de faut de paiement. C’est pour cela qu’il y a une différence fondamentale entre le statut de la Banque et celui du FMI du point de vue de l’immunité. La Banque n’en bénéficie pas car elle recourt aux services des banquiers et des marchés financiers en général. Aucun banquier ne ferait crédit à la Banque mondiale si elle bénéficiait de l’immunité. Par contre, le FMI peut disposer de l’immunité car il finance lui-même ses prêts à partir des quotes-parts versées par ses membres. Si l’immunité n’est pas accordée à la Banque mondiale, ce n’est pas pour des raisons humanitaires, c’est pour offrir des garanties aux bailleurs de fonds.

 

Il est donc parfaitement possible de porter plainte contre la Banque dans les nombreux pays (près de 100) où elle dispose de bureaux. C’est possible à Djakarta ou à Dili, capitale du Timor oriental, tout comme à Kinshasa, à Bruxelles, à Moscou ou à Washington car la Banque dispose d’une représentation dans ces pays et dans bien d’autres.

 

Une précision importante : aucune institution, aucun sujet de droit international et aucun individu ne bénéficie d’immunité s’il est impliqué dans des crimes contre l’humanité. En plus, dans ce cas, il n’y a pas de prescription. Au motif de crimes contre l’humanité, le FMI, la Banque mondiale sont justiciables.

 

 

Pourquoi porter plainte ?

 

Depuis que la Banque mondiale octroie des prêts [2], une très grande quantité d’entre eux a servi à mener des politiques qui ont porté préjudice à des centaines de millions de citoyens. Qu’entend-t-on par là ? La Banque a systématiquement privilégié les prêts pour de grandes infrastructures telles les grands barrages [3], les investissements dans les industries extractives de matières premières (par exemple, les mines à ciel ouvert, la construction de nombreux pipe-lines - derniers en date : Tchad-Cameroun et Bakou-Tbilissi-Ceyhan [4]), des politiques agricoles favorisant le « tout à l’exportation » au prix de l’abandon de la sécurité et de la souveraineté alimentaires, la construction de centrales thermiques, grandes consommatrices de forêts tropicales.

 

Par ailleurs, la Banque mondiale est venue en aide en de très nombreuses occasions à des régimes dictatoriaux, responsables avérés de crimes contre l’humanité : les dictatures du Cône Sud de l’Amérique latine des années 60 aux années 80, de nombreuses dictatures en Afrique (Mobutu de 1965 à sa chute en 1997, le régime d’apartheid en Afrique du Sud), des régimes de l’ancien bloc soviétique tels la dictature de Ceaucescu en Roumanie, les dictatures d’Asie du Sud-Est et d’Extrême-Orient telles celle de Marcos de 1972 à 1986 aux Philippines, de Suharto de 1965 à 1998 en Indonésie, des régimes dictatoriaux de Corée du Sud (1961-1981), de Thaïlande (1966-1988), jusqu’à la dictature chinoise aujourd’hui.

 

Complémentairement, la Banque a contribué avec d’autres acteurs à déstabiliser systématiquement des gouvernements progressistes et démocratiques en leur supprimant toute aide : le gouvernement de Soekarno en Indonésie jusqu’à son renversement en 1965, le gouvernement de Jocelino Kubitchek (1956-1960) puis celui de Joao Goulart (1961-1964) au Brésil finalement renversé par un coup d’état militaire, le gouvernement de Salvador Allende (1970-1973) au Chili...

 

N’oublions pas les prêts que la Banque a octroyés aux métropoles coloniales (Belgique, Grande-Bretagne, France,...) pour l’exploitation des ressources naturelles des pays qu’elles dominaient jusqu’aux années 1960 et qui se sont ajoutés ensuite à la dette extérieure des États dès leur indépendance. Par exemple, la fin des remboursements de la dette contractée par la Belgique au nom du Congo belge a dû être assumée par le Congo indépendant. Il en va de même pour le Kenya, l’Ouganda, le Nigeria, le Gabon, la Mauritanie , l’Algérie, la Somalie pour des dettes contractées par les gouvernants des puissances coloniales.

 

Il faut encore mentionner les prêts d’ajustement structurel octroyés par la Banque depuis les années 1980. Ces prêts ne sont pas destinés à des projets économiques précis : ils visent à permettre la réalisation des politiques globales dont la finalité est l’ouverture totale des économies des pays « bénéficiaires » aux investissements et aux importations en provenance principalement des principaux actionnaires de la Banque. La Banque soutient ainsi une politique de dénationalisation des pays assistés au bénéfice des intérêts d‘une partie de ses membres, une poignée de puissances industrielles dont les choix s’imposent à la majorité des habitants et des pays de la planète. Le caractère nocif, tant des remèdes structurels que des remèdes de choc, a été démontré dans les multiples crises qui se sont succédées à partir de la crise « tequila » qui a frappé le Mexique en 1994. Les nouvelles priorités de la Banque telles la privatisation de l’eau, de la terre, combinées à son refus récent de mettre en application les recommandations de la commission indépendante des industries extractives, montrent clairement que l’orientation de la Banque ne s’améliore pas et que de nouvelles catastrophes sociales sont en cours et en préparation. Bref, de puissants tsunamis provoqués par l’intervention cataclysmique de la Banque mondiale !

 

 

Qui peut porter plainte ?

 

On peut imaginer que des associations représentant les intérêts des personnes affectées par les prêts de la Banque mondiale et/ou par le soutien de celle-ci à des régimes dictatoriaux se constituent partie civile et portent plainte devant des tribunaux nationaux contre la Banque. On peut imaginer aussi que des détenteurs de titres de la Banque - il n’y a pas que des banquiers, il y a aussi des syndicats - portent plainte contre celle-ci pour l’usage qu’elle fait de l’argent qu’ils lui ont prêté. Le résultat positif des poursuites n’est pas garanti mais on ne voit pas pourquoi des associations de citoyens n’utiliseraient pas leur droit pour obtenir que la Banque rende compte de ses actes. Il est inconcevable que le caractère néfaste d’une institution comme la Banque ne soit pas un jour sanctionné par des décisions de justice.

 

 

Pourquoi de telles procédures n’ont elles encore jamais été entamées ?

 

La disposition de la charte de la Banque mondiale (article VII section 8) qui octroie l’immunité aux dirigeants et aux fonctionnaires dans l’exercice de leur fonction a occulté la possibilité de porté plainte contre la Banque en tant que personne morale (article VII section 3, voir note 1 du présent texte). Or, il est plus important de pouvoir exiger des comptes de la Banque en tant qu’institution que de s’en prendre uniquement à des exécutants. On peut également ajouter que selon la même disposition (article VII section 8), la Banque peut de son propre chef lever l’immunité dont bénéficient ses dirigeants et ses fonctionnaires. On peut également imaginer porter plainte contre des hauts dirigeants de la banque une fois qu’ils ont quitté leur fonction.

 

Un autre élément pour expliquer l’absence de poursuites à l’égard de la Banque réside dans le fait qu’on a mis beaucoup trop de temps à se rendre compte du caractère systématique et généralisé des pratiques répréhensibles de la Banque. Souvent , elle n’apparaît pas au tout premier plan car ce sont les gouvernements nationaux qui assument aux yeux de leurs citoyens les politiques exigées par la Banque mondiale.

 

 

La Convention des Nations unies de 1947 n’accorde-t-elle pas l’entière immunité aux agences spécialisées de l’ONU dont la Banque mondiale fait partie ?

 

Une convention sur les privilèges et immunités des institutions spécialisées des nations unies [5] a été approuvée par l’Assemblée générale le 21 novembre 1947. L’article 10 de la Convention , section 37, qui concerne les annexes et l’application de la Convention à chaque institution spécialisée, précise que la Convention « deviendra applicable à une institution spécialisée lorsque celle-ci aura transmis au secrétaire général des Nations unies le texte final de l’annexe qui la concerne et lui aura notifié son acceptation des clauses standard modifiées par l’annexe...  ». La Banque a renvoyé sa copie.
L’annexe VI concerne la Banque internationale pour la reconstruction et le développement ( la Banque mondiale donc). Et que voit-on ? La Banque a en fait introduit à cet endroit la partie de ses statuts qui précise dans quelles circonstances elle perd son immunité ! La Banque préfère donc au sein des Nations unies rester en concordance avec son statut de Banque plutôt que de profiter de l’immunité des agences onusiennes. Voici le texte en question : « La convention (y compris la présente Annexe) s’appliquera à la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (ci-après désignée sous le nom de «  la Banque  »), sous réserve des dispositions suivantes : 1. Le texte suivant remplacera celui de la section 4 : «  La Banque ne peut être poursuivie que devant un tribunal ayant juridiction sur les territoires d’un Etat membre où la Banque possède une succursale, où elle a nommé un agent en vue d’accepter des sommations ou avis de sommations, ou bien où elle a émis ou garanti des valeurs mobilières. » Etc.

 

Il est donc possible de traduire la Banque mondiale en justice en vertu de la Convention des Nations unies de 1947 et de ses annexes.

 

 

 

 

 

Notes:

 

[1] Section 3 de l’article VII : «  La Banque ne peut être poursuivie que devant un tribunal ayant juridiction d’un état membre où elle possède un bureau, a désigné un agent chargé de recevoir les significations ou notification de sommations ou a émis ou garanti des titres ». ”Actions may be brought against the Bank only in a court of competent juridiction in the territories of a member in which the Bank has an office, has appointed an agent for the purpose of accepting service or notice of process, or has issued or guaranteed securities.”

 

[2] Le premier prêt remonte à 1947.

 

[3] Selon, le rapport de la Commission sur les grands barrages, 60 à 80 millions de personnes ont été déplacées suite à la construction des grands barrages. Dans un grand nombre de cas, les droits de ces personnes en termes d’indemnisation et de réinstallation n’ont pas été respectés.

 

[4] Selon le rapport de la Commission sur les industries extractives rendu public en décembre 2003, une grande partie des projets financés par la Banque mondiale ont eu des effets négatifs pour les populations et les pays concernés.

 

[5] Dans l’Article 1er de la Convention intitulé « Définitions et champ d’application », Section 1, les institutions spécialisées qui sont nommément citées sont les suivantes : l’Organisation internationale du travail ; l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture ; l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture ; l’Organisation de l’aviation civile internationale ; le Fonds monétaire international ; la Banque internationale pour la reconstruction et la mise en valeur ; l’Organisation mondiale de la santé ; l’Union postale universelle ; l’Union internationale des télécommunications.

 

Publié dans L'O.N.U.

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