Depuis Paris, le FPI fait le procès de la politique de la France en Afrique

Publié le par Dr. Assoa Adou

 

Article paru le  jeudi 21 décembre 2006 - Par Le Courrier d'Abidjan

M.
© Le Patriote
M. Pascal Affi N’Guessan, Président du Front Populaire Ivoirien
Contribution – Invité à participer à l’échange organisé par le Parti Communiste Français (PCF), le 30 novembre 2006 en Hexagone, sur le thème : «Quelle politique de la France en Afrique ?», le Front Populaire ivoirien a dénoncé l’exploitation des Etats africains par l’ex-puissance colonisatrice. Ci-dessous, la contribution du FPI à ces assises du PCF ; contribution présentée par son Secrétaire national chargé des Relations Extérieures et de la Politique Etrangère, le Dr. Assoa Adou.

Le Front Populaire Ivoirien (FPI), de Côte d’Ivoire, voudrait, avant toute chose, remercier le Parti Communiste Français (PCF) d’avoir bien voulu l’associer à cet échange sur «Quelle politique de la France en Afrique ?»
Le FPI remercie le PCF d’autant plus que le FPI confesse que, pour débattre de cette question interne à la France, nul besoin n’était d’inviter des Africains et notamment des partis politiques africains, puisque, seule la France peut et doit définir sa politique en Afrique. Le FPI n’oublie pas, cependant, que la France a entretenu des relations particulières avec l’Afrique.
- L’Afrique a vécu la douloureuse période de l’esclavage et la France a participé à ce commerce.
- L’Afrique a connu la colonisation et la France était encore présente dans cette douloureuse histoire de l’Afrique.
- L’Afrique n’oublie pas que beaucoup de ses fils sont morts pour la libération de la France pendant les deux guerres mondiales.
- L’Afrique a lutté pour son indépendance et le FPI n’oublie pas que des Français étaient aux côtés des leaders africains. Le FPI voudrait rappeler et saluer à sa juste valeur la contribution inestimable du Parti Communiste Français et de ses dirigeants d’alors (Raymond Barbé notamment), à la naissance du Rassemblement Démocratique Africain (RDA), à Bamako, au Mali, en octobre 1946. Le FPI n’oublie pas non plus que c’est apparenté au PCF que le RDA, dirigé par le président Houphouët-Boigny, a fait ses premiers pas de lutte pour l’émancipation des peuples africains, à l’Assemblée nationale française.
Par son invitation à des Africains pour échanger sur «Quelle politique de la France en Afrique ?», le parti Communiste Français est donc fidèle à sa ligne politique d’émancipation des peuples africains. Le Front Populaire Ivoirien voudrait l’en remercier et l’en féliciter, comme il le remercie pour toutes ses prises de positions, dans la situation de crise que vit la Côte d’Ivoire, en faveur de la légalité républicaine incarnée par le pouvoir actuel.
Sur le thème «Quelle politique de la France en Afrique?», Le FPI voudrait articuler sa contribution sur le cas spécifique de la Côte d’Ivoire, pays qui vit une situation de guerre depuis le 19 septembre 2002, et cela en trois points :

1) La politique actuelle de la France;
2) La crise ivoirienne et la France;
3) Les propositions du FPI.

1) La politique actuelle de la France en Côte d’Ivoire

Après la période de l’esclavage et l’âge de la colonisation, la Côte d’Ivoire, ancien territoire français, a accédé à la souveraineté nationale et internationale le 07 août 1960. Yves Guéna, dernier gouverneur (Haut-commissaire) de la Côte d’Ivoire, indique, dans son ouvrage «Le temps des certitudes : 1940-1969» (1982, Flammarion), le cadre de l’indépendance des pays africains dont la Côte d’ivoire. En effet, l’auteur écrit, à la page 90 de son ouvrage-témoignage : «… les relations entre la France et nos anciennes possessions avaient pour l’essentiel une trame sentimentale qui conserva sa solidité malgré les changements formels dans nos rapports». Et l’auteur précise, à la même page : «La Communauté, c’était le lien direct, auquel veillait Jacques Foccart, entre de Gaulle et les Houphouët-Boigny, Senghor, Tsiranana, etc. C’est grâce à ce contact permanent que, lors de l’accession, si rapide, de tous ces Etats à l’indépendance, s’ils gagnèrent leur souveraineté, ils ne cessèrent cependant d’accepter la suzeraineté du Général». L’acceptation de cette suzeraineté du général de Gaulle et de la France s’est matérialisée à travers des accords. C’est ainsi que le 24 avril 1961, soit un peu plus de huit (8) mois après son accession à l’indépendance, la Côte d’Ivoire signe des accords de coopération avec la France, dont l’annexe II du chapitre IV dénommé accord de défense et de sécurité, signé en compagnie du Dahomey (actuel Bénin) et du Niger, stipule ce qui suit :

«Article 1er – Les matières premières et produits classés stratégiques comprennent :
- Première catégorie : les hydrocarbures liquides ou gazeux;
- Deuxième catégorie : l’uranium, le thorium, le lithium, le béryllium, leurs minerais et composés».
Et l’alinéa 2 de l’article 5 de cette annexe dispose «En ce qui concerne ces mêmes matières et produits, la République de Côte d’Ivoire, la République du Dahomey et la République du Niger, pour les besoins de la défense, réservent par priorité leur vente à la République française après satisfaction des besoins de leur consommation interne, et s’approvisionnent par priorité auprès d’elle».
Comme on le voit aisément, la Côte d’Ivoire, si elle a du pétrole, n’a pas le droit de le vendre, au plus offrant, sur le marché international sans l’accord de la France. De même, elle ne peut pas en acheter sur le marché international sans l’accord de la France. Il en va de même pour l’assistance militaire, comme l’indique l’alinéa 1 de l’article 3 du chapitre V dudit accord consacré à l’assistance technique militaire : «La République de Côte d’Ivoire en vue d’assurer la standardisation des armements, s’adressera en priorité à la République française pour l’entretien et le renouvellement des matériels et équipements de ses forces armées».
C’est dans le cadre de l’acceptation de cette suzeraineté du général de Gaulle et de la France que l’économie ivoirienne est la propriété de la France : le port d’Abidjan est une propriété d’une société française, le téléphone filaire est la propriété d’une société française, la distribution de l’eau potable en Côte d’ivoire est l’affaire d’une société française. Et si la production, la construction du réseau de distribution de l’énergie (courant électrique) et l’entretien des équipements restent l’affaire de la Côte d’Ivoire, la distribution et la commercialisation de l’énergie sont la propriété d’une société française. Tout, en Côte d’Ivoire, doit appartenir et appartient de fait à la France. Faut-il rappeler que le chapitre IX de ces accords de coopération, consacré à l’économie, aux finances et à la monnaie, stipule, en son article 15, qu’un compte dénommé ‘‘Côte d’Ivoire - droits de tirage’’ et logé au Trésor français, «est crédité notamment de la contre-valeur des règlements en devises correspondant aux exportations, ainsi que des dons et prêts en devises que la République de Côte d’Ivoire obtiendrait de pays extérieurs à la zone franc ou d’organismes internationaux», avant de préciser, en son article 36, que «Les relations entre le Trésor français et le Trésor ivoirien restent régies par un Accord spécial».
Voilà un bref résumé de la politique actuelle de la France en Afrique, notamment en Côte d’Ivoire. Ce résumé montre clairement que la politique de la France en Afrique, depuis la période de l’esclavage jusqu’à nos jours, loin d’être une politique d’aide au développement des Etats africains, loin d’être une politique d’appui à l’épanouissement des peuples africains, est une politique d’exploitation et de domination permanentes des pays africains, une politique d’asservissement des peuples africains, dont la ligne directrice est la grandeur de la France. Et aucun Etat africain des anciennes «possessions» françaises ne doit remettre en cause cette politique de domination et d’exploitation des peuples africains. S’il ose, il sera l’objet d’ostracisme et d’humiliation de la part de la France, comme ce fut le cas de la Guinée d’Ahmed Sékou Touré, en 1958. Et la France mettra tout en œuvre pour que cet Etat ne reçoive aucune aide de quelque pays que ce soit. C’est ce que confesse Yves Guéna dans son ouvrage déjà cité, lorsqu’il écrit, à la page 87 : «A ce moment-là, l’écharde dans la Communauté, c’était la Guinée qui avait voté non au référendum et notre souci, l’aide qu’elle recevait des pays étrangers, ce qui pouvait séduire les territoires fidèles» ; parce que la réussite de la Guinée d’Ahmed Sékou Touré aurait nui à la grandeur de la France.

2) La France et la crise ivoirienne

La politique d’exploitation et d’asservissement de la France en Côte d’Ivoire ne posait aucun problème tant que le peuple, dans son ensemble, ignorait son expression et tant que les dirigeants qui l’ont acceptée, secrètement, demeuraient au pouvoir grâce à l’appui de la France. Mais voici que, en octobre 2000, le peuple ivoirien, usant de son droit à l’autodétermination qu’a tout peuple (Déclaration Universelle des Droits de l’Homme), fait parvenir au pouvoir d’Etat des intellectuels soucieux de l’émancipation de leur peuple, du développement de leur pays et donc d’une gestion saine des ressources de ce pays. Ces intellectuels, dont la tête de file est Laurent Gbagbo, actuel président du pays, veulent «gouverner autrement» en procédant à une «refondation» de l’Etat de Côte d’Ivoire, tant au plan intérieur qu’au plan extérieur.
Au plan intérieur, le FPI veut approfondir la démocratie en donnant le pouvoir au peuple (collectivités locales) par une décentralisation ; assurer à tous un bien être par une Assurance Maladie Universelle (AMU) et la scolarisation gratuite de tous les enfants ivoiriens en âge d’aller à l’école. Au plan extérieur, le FPI veut diversifier, dans l’intérêt du peuple ivoirien, les relations économiques de la Côte d’Ivoire, sans pour autant rompre les anciennes. Cette volonté de ‘‘gouverner autrement’’ et notamment la volonté de diversifier les relations économiques de la Côte d’Ivoire, qui procède d’une véritable révolution nationale démocratique et pacifique, est à l’origine de la guerre que vit le peuple ivoirien depuis plus de quatre longues et dures années. C’est pour cette raison que la France n’a pas voulu actionner, au début de la guerre, les accords de défense qui la lient à la Côte d’Ivoire en prétextant un conflit ivoiro-ivoirien, accords déclarés caduques de fait par la France elle-même, par la voix de sa ministre de la défense, Alliot-Marie. Et pourtant, dans ce conflit qualifié d’ivoiro-ivoirien, la France n’a pas voulu inviter, lors de la table ronde de Linas-Marcoussis, les dirigeants de l’Etat de Côte d’Ivoire agressé. Comment peut-on imaginer résoudre un conflit entre un Etat et «sa» rébellion en écartant des discussions l’Etat agressé ? La France a réussi ce coup de génie parce qu’elle ne veut pas des dirigeants ivoiriens qu’elle soupçonne d’indépendantistes, comme au bon vieux temps de la lutte des peuples africains pour leur indépendance. Cela explique pourquoi la France, prétextant la mort regrettable de soldats français à Bouaké, a tué, en novembre 2004, des manifestants ivoiriens aux mains nues dont le seul crime est la défense de leur pays. Cela explique pourquoi la France veut absolument installer, à la présidence de la République en Côte d’Ivoire, un homme lige qu’elle peut manipuler à sa guise. C’est également ce qui explique pourquoi la France, au regard de son projet de résolution 1721, veut absolument une Côte d’Ivoire sans Constitution, comme si la Constitution française devait encore avoir cours en Côte d’Ivoire, comme du temps de l’Empire français ou de la Communauté française, avec un statut particulier pour les indigènes que seraient toujours les Ivoiriens. C’est également ce qui explique pourquoi la politique de la France en Afrique s’applique selon le système de «deux poids, deux mesures». En effet, dans des anciennes «possessions» françaises d’Afrique (Burkina Faso, République centrafricaine, République du Congo, etc.), des candidats sont écartés de l’élection présidentielle sans que la France ne réagisse. Dans d’autres Etats africains, des Africains sont expulsés parce que non-nationaux de ces Etats, sans que ces Etats soient taxés de xénophobes. Et pourtant, c’est l’élimination de certains candidats qui est reprochée au président ivoirien qui n’est pas responsable de cette situation, puisque n’étant pas au pouvoir au moment des faits. Et le peuple ivoirien, qui accueille sur son territoire plus de 26% de sa population en termes de non-nationaux est taxé de xénophobe.
Mais, les dirigeants ivoiriens rejettent, ici et maintenant, la suzeraineté de la France et du président Chirac. Chirac n’est pas de Gaulle et Gbagbo n’est pas Houphouët-Boigny. Et le peuple français au nom duquel le président Chirac définit et applique sa politique de la France en Côte d’Ivoire, doit le savoir : la Côte d’Ivoire et le peuple ivoirien ne veulent plus de comportements paternalistes de la part des dirigeants français, et les Ivoiriens n’acceptent plus la suzeraineté de la France et n’adopteront plus, en conséquence, des comportements de sujétion. Alors, quelle politique de la France en Afrique en général et en Côte d’Ivoire en particulier ?

3) Les propositions du Front Populaire Ivoirien (FPI)

Pour le FPI, et cela a été dit plus haut, il appartient à la France et à la France seule de définir sa politique en Afrique. Toutefois, le Front Populaire Ivoirien voudrait affirmer haut et fort que tout peuple a droit à l’autodétermination, au respect et au bonheur. Et même si le général de Gaulle a appris à tous qu’un pays n’a pas d’amis, un pays n’a que des intérêts, le FPI voudrait dire que la France a le droit de choisir ses amis dans le respect de ses intérêts. Elle n’est point obligée d’aider un pays, et toute amitié peut être rompue si au moins une des parties n’y trouve plus ses intérêts, comme ce fut le cas de l’amitié franco-algérienne. Personne n’en voudra à la France de ne pas aider un pays comme la Côte d’Ivoire, car l’aide n’est pas obligée.
Mais, si le peuple français le veut, la France, ce pays qui se veut le pays des libertés des hommes et des femmes, de l’égalité des hommes et des peuples, et de la fraternité entre les peuples, peut accompagner, sur le chemin de leur émancipation, les peuples du monde en général et les peuples africains en particulier. Mais cela doit se faire sans coercition et dans le respect des peuples, suivant le principe de l’égalité entre les Etats et le principe d’avantages réciproques. Et cette politique de la France en Afrique, il appartient au peuple français de l’indiquer, de façon souveraine, à ses dirigeants. Toutefois, pour le FPI, les Français doivent comprendre que depuis 1960, la Côte d’Ivoire a privilégié sa coopération avec la France, mais le tête-à-tête de 46 ans n’a pas permis à la Côte d’Ivoire d’accéder au stade de pays industrialisé malgré ses énormes potentialités en ressources naturelles et en ressources humaines. Sans donc renier cette amitié historique franco-ivoirienne, le FPI estime que la Côte d’Ivoire doit diversifier ses partenaires internationaux, et la France n’a pas d’autres choix que de l’accepter. Par ailleurs, pour le FPI, la France doit soutenir les démocraties naissantes en Afrique, et laisser l’Afrique prendre son destin en main en renonçant à la vassalisation des Chefs d’Etat africains, pour résoudre le problème du sous-développement et mettre fin à ces spectacles odieux de candidats à l’immigration qui se noient en mer, ou chassés comme des bêtes de somme sur les barbelés des frontières hispano-marocaines et d’ailleurs.
C’est en ces termes que la France et le peuple français peuvent aider l’Afrique en général, la Côte d’Ivoire et le peuple ivoirien en particulier, à partir de la France elle-même, en influençant la politique des ses dirigeants, comme le peuple français a su le faire lors de l’assassinat du Chilien Allende. Les dirigeants du FPI se souviennent que le peuple français avait bloqué les ports français pour boycotter les produits du Chili de Pinochet. Quant au Parti Communiste Français, pour contribuer à la définition de cette politique de partenariat dans l’égalité avec le peuple de Côte d’Ivoire, il doit sensibiliser le peuple français, par l’organisation de conférences sur la crise ivoirienne, et des reportages sur cette crise, reportages qui pourraient être publiés dans des journaux français. C’est une piste à explorer si le PCF agrée l’analyse du FPI. Mais le PCF est souverain et le FPI ne lui donne son avis que parce que le PCF l’a sollicité, amicalement. Et le FPI salue à sa juste valeur cette marque d’amitié et de respect dont il est honoré.

Dr. Assoa Adou
Député à l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire
Secrétaire national chargé des Relations Extérieures et
de la Politique Etrangère du FPI

Publié dans Francafrique

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