Colonialisme : LHistoire au garde-à-vous
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Colonialisme : LHistoire au garde-à-vous | |
Dossier créé le 30/03/2005 à 16 h 23 | |
Le Parlement a adopté, le 23 février 2005, une loi visant à promouvoir une appréciation « positive » de la présence française outre-mer. Une mesure aussi stupide que la relecture schématique du passé colonial français par une extrême gauche se donnant le grand frisson dun anticolonialisme bien dépassé ? Quand la somnolence manque de gagner les travées du Palais Bourbon ou du Luxembourg, les députés et les sénateurs de base luttent courageusement contre elle en se plongeant dans laustère méditation du Dictionnaire universel du XIX° siècle de Pierre Larousse. A larticle « Migrations », ils savourent cet éloge du « fardeau de lhomme blanc » : « La race blanche ou caucasienne, douée dune activité incessante et inépuisable, semble sêtre donné pour but le globe entier à conquérir, à peupler ou à civiliser, en imposant sa domination aux populations indigènes quelle rencontre sur son chemin, en essayant de les élever à son niveau si elles consentent à entrer dans le tourbillon de son activité ou en les détruisant si elles sy refusent ». Revigoré par cette saine lecture, lélu de la nation vote alors derechef une loi, par exemple celle du 23 février 2 005, dont larticle 4 dispose : « Les programmes de recherche universitaire accordent à lhistoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place quelle mérite. Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à lhistoire et aux sacrifices des combattants de larmée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit ». Voici donc chercheurs, maîtres des écoles et professeurs invités à se muer en militants de la défunte Ligue maritime et coloniale et à vanter de nouveaux Gesta Dei per Francos, la participation « sublime, forcément sublime », de notre pays à lélargissement du monde plein et à la colonisation des Amériques, de lAsie et de lAfrique. Foin de la « légende noire » du colonialisme, chantons tous à lunisson les hauts faits et gestes de ces humanistes distingués que furent les Bugeaud, Saint Arnaud, Bonnier, Voulet et Chanoine, Garbay, Massu et Bigeard ou les commandos Delta de lOAS, grands sabreurs et enfûmeurs de rebelles et de méchants fellaghas ! A linverse, les signataires de la pétition « Nous sommes les indigènes de la République ! », nous invitent à un gigantesque acte de contrition et de repentance. Il nous faut expier le passé colonial, toujours présent, de la République et de la France réduite à nêtre quun « état colonial » : « Pendant plus de quatre siècles, elle a participé activement à la traite négrière et à la déportation des populations de lAfrique sub-saharienne. Au prix de terribles massacres, les forces coloniales ont imposé leur joug sur des dizaines de peuples, dont elles ont spolié les richesses, détruit les cultures, ruiné les traditions, nié lhistoire, effacé la mémoire. Les tirailleurs dAfrique, chair à canon pendant les deux guerres mondiales, restent victimes dune scandaleuse inégalité de traitement ». Et de conclure : « La décolonisation de la République reste à lordre du jour » : « La République de lEgalité est un mythe. LEtat et la société doivent opérer un retour critique radical sur leur passé-présent colonial. Il est temps que la France interroge ses Lumières, que luniversalisme égalitaire, affirmé pendant la Révolution française, refoule ce nationalisme arc-bouté au « chauvinisme de luniversel », censé « civiliser sauvages et sauvageons ». Nous voilà donc menacés, dans les deux cas, dune histoire officielle, « dans la ligne », qui caractérisa jadis les systèmes totalitaires. Clio est mise au service dune instrumentalisation politique du passé. Dun côté, les élus de droite, prenant prétexte du drame douloureux vécu par les Harkis, ont profité dune loi visant à apporter à ceux-ci des réparations morales et matérielles, que nul ne peut leur dénier, pour inclure dans le texte un article qui nous ramène aux « grandes heures » de lExposition coloniale de 1931.Les élus de gauche, victimes dune mouche tsé tsé parlementaire, nont pas vu le piège et nont pas fait connaître leur indignation, du moins jusquà présent. De lautre côté, lon voit des sociologues, disciples de Bourdieu, et des militants dextrême gauche sallier avec des associations appartenant à la mouvance islamiste. Leur but est clair : substituer au modèle français dintégration et dassimilation une « ethnicité républicaine » légitimant le communautarisme et visant, à terme, à mettre en place des statuts personnels en fonction dorigines ethniques et religieuses supposées inchangeables. Ce nest pas la première fois que Clio est utilisée dans un contexte « racialisant ». Dire quil y a des indigènes de la République suppose quil y a des colons de la République, ceux-ci occupant indûment des places dérobées aux seuls vrais citoyens, les « indigènes », privés de leurs droits. Cest, en fait, le retour de la « guerre des deux races » qui divisa la France avant et après la Révolution. Montesquieu et les tenants de la « réaction nobiliaire », favorables à la remise en vigueur des privilèges de laristocratie, défendirent lidée selon laquelle la noblesse descendait des conquérants francs et le Tiers Etat des Gaulois et Gallo-Romains soumis lors des invasions barbares. A linverse, les Révolutionnaires de 1789 soutinrent que la Révolution devait saccompagner dune épuration ethnique visant à chasser les descendants des conquérants francs, voire à les bannir du territoire. Augustin Thierry, Guizot, Thiers, Michelet, Camille Jullian et bien dautres se firent les avocats de cette thèse qui favorisa puissamment la naissance du racisme « scientifique » moderne, avec toutes ses conséquences. Ces thèses sont reprises aujourdhui par une extrême gauche qui substitue la guerre des races à la guerre des classes. Les formidables mutations socio-économiques connues par la France à la faveur des « trente glorieuses » et de la crise qui sévit depuis 1973 ont amené la disparition de la classe ouvrière et le déclin des organismes qui la représentaient ainsi quune diminution très nette des organisations syndicales. Aujourdhui, le prolétariat nest plus le fer de lance des luttes ni la classe davenir. Il a dû céder la place à dautres catégories aux contours très indécis : exclus, minorités sexuelles, femmes, immigrés, etc., devenus le nouveau sel de la terre. On en revient ainsi à la figure du Bon Sauvage qui a fleuri en Europe de lélargissement du monde plein jusquà la période des Lumières et dont limmigré, le Beur ou le « Renoi » contemporains sont de nouvelles formes. Lextrême gauche retombe ainsi dans un classicisme singulièrement paradoxal. Lappel des « indigènes de la République » se comporte comme si la lutte anticolonialiste était aujourdhui à lordre du jour, plus de quarante ans après le déroulement des indépendances. Faute davoir connu la Résistance et les luttes anticoloniales, ses initiateurs réinventent une histoire héroïque et légendaire dont ils se voudraient les actuels protagonistes. En fait, il sagit dune double imposture. Tout dabord, elle leur permet de couper les liens avec leurs pays dorigine dont les indépendances ne furent guère couronnées de succès. Leur échec est attribué à un « néocolonialisme », aimable plaisanterie qui fait limpasse sur les méfaits des partis uniques, la corruption et lincompétence des dirigeants. Plutôt que de fustiger cela, on choisit la France comme bouc émissaire en donnant de son passé colonial une vision tronquée et dénaturée, appelant une réparation qui se limite à loctroi de privilèges aux seuls ressortissants des anciennes colonies installés en France. Mais cest aussi et avant tout renvoyer lAfrique du Nord et subsaharienne à leur lente descente aux enfers et se refuser à les aider. Du « cartiérisme dextrême gauche », en quelque sorte, dissimulé habilement sous la rhétorique révolutionnaire héritée du Sommet de Bandoeng. Appeler la France à se repentir de ces « crimes » est un curieux retour de la thématique Vichy. Doit-on le rappeler, la « Révolution nationale » fut une gigantesque auto flagellation et un acte de contrition imposé au pays par Pétain et ses partisans. La France devait expier la République, lécole sans Dieu, les instituteurs, Le Front populaire, les congés payés, Gide, Proust, etc.., tous responsables de la défaite. Mutatis mutandis, on assiste aujourdhui au même phénomène, mais en provenance de lextrême gauche, ce quon peut difficilement considérer comme un progrès décisif. Lhistoire du colonialisme est un sujet suffisamment grave pour ne pas se prêter à des simplifications abusives et à une lecture réductrice des modalités de lexpansion européenne outre-mer. Il faut, bien entendu, parler des crimes du colonialisme, et marianne-en-ligne vous propose donc den découvrir certains qui se sont déroulés en Algérie, en Tunisie, au Sénégal, en Côte dIvoire, au Soudan français ou à Madagascar. Mais sil est une constante, à travers toute la littérature coloniale du XIX° et de la première moitié du XX° français, cest bien le fait que les partisans de laventure coloniale se plaignent de ce que lopinion publique soit non seulement indifférente mais aussi profondément hostile à leurs thèses. La droite cocardière, pour ne citer quelle, y était très farouchement opposée et il est plutôt paradoxal de voir ses actuels héritiers enfourcher le mauvais cheval du colonialisme si virulemment combattu par leurs ancêtres. Cest à cet anticolonialisme de droite que nous consacrons un article de ce dossier. Ce fait, à lui seul, montre que lon ne peut obliger Clio à se mettre au garde-à-vous. Il convient de laisser les historiens faire leur travail, loin de toute contrainte idéologique ou politique, de droite comme de gauche.. Cest précisément parce quils connaissent les pages sombres de ce passé que des historiens, spécialistes éminents de la colonisation et de la décolonisation, notamment Claude Liauzu et Annie Rey-Goldzeiguer, ont demandé durgence labrogation de la loi du 23 février 2 005. Pour eux, elle « impose une histoire officielle » et « un mensonge officiel sur des massacres allant parfois jusquau génocide, sur lesclavage, sur le racisme hérité de ce passé ». Ils nont pas tort de souligner que cette loi « légalise un communautarisme nationaliste suscitant en réaction le communautarisme de groupes ainsi interdits de tout passé ». Voilà une formidable régression qui en dit long sur la façon dont certains élus lutinent allègrement Clio et réinventent cette « histoire officielle » qui caractérisait jadis les pays totalitaires. Il est bien loin le temps où, à lEcole nationale de la France dOutre-Mer, la chaire dhistoire coloniale était confiée à un Charles-André Julien qui avait de son sujet denseignement une vision moins étriquée que nos modernes Tartuffes. Patrick Girard |