Colonialisme : L’Histoire au garde-à-vous

Publié le par Patrick Girard

Photo: AFP
Colonialisme : L’Histoire au garde-à-vous

Dossier créé le 30/03/2005 à 16 h 23
Mis à jour le 30/03/2005 à 16 h 27

Le Parlement a adopté, le 23 février 2005, une loi visant à promouvoir une appréciation « positive » de la présence française outre-mer. Une mesure aussi stupide que la relecture schématique du passé colonial français par une extrême gauche se donnant le grand frisson d’un anticolonialisme bien dépassé ? Quand la somnolence manque de gagner les travées du Palais Bourbon ou du Luxembourg, les députés et les sénateurs de base luttent courageusement contre elle en se plongeant dans l’austère méditation du Dictionnaire universel du XIX° siècle de Pierre Larousse. A l’article « Migrations », ils savourent cet éloge du « fardeau de l’homme blanc » : « La race blanche ou caucasienne, douée d’une activité incessante et inépuisable, semble s’être donné pour but le globe entier à conquérir, à peupler ou à civiliser, en imposant sa domination aux populations indigènes qu’elle rencontre sur son chemin, en essayant de les élever à son niveau si elles consentent à entrer dans le tourbillon de son activité ou en les détruisant si elles s’y refusent ». Revigoré par cette saine lecture, l’élu de la nation vote alors derechef une loi, par exemple celle du 23 février 2 005, dont l’article 4 dispose : « Les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite. Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit ». Voici donc chercheurs, maîtres des écoles et professeurs invités à se muer en militants de la défunte Ligue maritime et coloniale et à vanter de nouveaux Gesta Dei per Francos, la participation « sublime, forcément sublime », de notre pays à l’élargissement du monde plein et à la colonisation des Amériques, de l’Asie et de l’Afrique. Foin de la « légende noire » du colonialisme, chantons tous à l’unisson les hauts faits et gestes de ces humanistes distingués que furent les Bugeaud, Saint Arnaud, Bonnier, Voulet et Chanoine, Garbay, Massu et Bigeard ou les commandos Delta de l’OAS, grands sabreurs et enfûmeurs de rebelles et de méchants fellaghas ! A l’inverse, les signataires de la pétition « Nous sommes les indigènes de la République ! », nous invitent à un gigantesque acte de contrition et de repentance. Il nous faut expier le passé colonial, toujours présent, de la République et de la France réduite à n’être qu’un « état colonial » : « Pendant plus de quatre siècles, elle a participé activement à la traite négrière et à la déportation des populations de l’Afrique sub-saharienne. Au prix de terribles massacres, les forces coloniales ont imposé leur joug sur des dizaines de peuples, dont elles ont spolié les richesses, détruit les cultures, ruiné les traditions, nié l’histoire, effacé la mémoire. Les tirailleurs d’Afrique, chair à canon pendant les deux guerres mondiales, restent victimes d’une scandaleuse inégalité de traitement ». Et de conclure : « La décolonisation de la République reste à l’ordre du jour » : « La République de l’Egalité est un mythe. L’Etat et la société doivent opérer un retour critique radical sur leur passé-présent colonial. Il est temps que la France interroge ses Lumières, que l’universalisme égalitaire, affirmé pendant la Révolution française, refoule ce nationalisme arc-bouté au « chauvinisme de l’universel », censé « civiliser sauvages et sauvageons ». Nous voilà donc menacés, dans les deux cas, d’une histoire officielle, « dans la ligne », qui caractérisa jadis les systèmes totalitaires. Clio est mise au service d’une instrumentalisation politique du passé. D’un côté, les élus de droite, prenant prétexte du drame douloureux vécu par les Harkis, ont profité d’une loi visant à apporter à ceux-ci des réparations morales et matérielles, que nul ne peut leur dénier, pour inclure dans le texte un article qui nous ramène aux « grandes heures » de l’Exposition coloniale de 1931.Les élus de gauche, victimes d’une mouche tsé tsé parlementaire, n’ont pas vu le piège et n’ont pas fait connaître leur indignation, du moins jusqu’à présent. De l’autre côté, l’on voit des sociologues, disciples de Bourdieu, et des militants d’extrême gauche s’allier avec des associations appartenant à la mouvance islamiste. Leur but est clair : substituer au modèle français d’intégration et d’assimilation une « ethnicité républicaine » légitimant le communautarisme et visant, à terme, à mettre en place des statuts personnels en fonction d’origines ethniques et religieuses supposées inchangeables. Ce n’est pas la première fois que Clio est utilisée dans un contexte « racialisant ». Dire qu’il y a des indigènes de la République suppose qu’il y a des colons de la République, ceux-ci occupant indûment des places dérobées aux seuls vrais citoyens, les « indigènes », privés de leurs droits. C’est, en fait, le retour de la « guerre des deux races » qui divisa la France avant et après la Révolution. Montesquieu et les tenants de la « réaction nobiliaire », favorables à la remise en vigueur des privilèges de l’aristocratie, défendirent l’idée selon laquelle la noblesse descendait des conquérants francs et le Tiers Etat des Gaulois et Gallo-Romains soumis lors des invasions barbares. A l’inverse, les Révolutionnaires de 1789 soutinrent que la Révolution devait s’accompagner d’une épuration ethnique visant à chasser les descendants des conquérants francs, voire à les bannir du territoire. Augustin Thierry, Guizot, Thiers, Michelet, Camille Jullian et bien d’autres se firent les avocats de cette thèse qui favorisa puissamment la naissance du racisme « scientifique » moderne, avec toutes ses conséquences. Ces thèses sont reprises aujourd’hui par une extrême gauche qui substitue la guerre des races à la guerre des classes. Les formidables mutations socio-économiques connues par la France à la faveur des « trente glorieuses » et de la crise qui sévit depuis 1973 ont amené la disparition de la classe ouvrière et le déclin des organismes qui la représentaient ainsi qu’une diminution très nette des organisations syndicales. Aujourd’hui, le prolétariat n’est plus le fer de lance des luttes ni la classe d’avenir. Il a dû céder la place à d’autres catégories aux contours très indécis : exclus, minorités sexuelles, femmes, immigrés, etc., devenus le nouveau sel de la terre. On en revient ainsi à la figure du Bon Sauvage qui a fleuri en Europe de l’élargissement du monde plein jusqu’à la période des Lumières et dont l’immigré, le Beur ou le « Renoi » contemporains sont de nouvelles formes. L’extrême gauche retombe ainsi dans un classicisme singulièrement paradoxal. L’appel des « indigènes de la République » se comporte comme si la lutte anticolonialiste était aujourd’hui à l’ordre du jour, plus de quarante ans après le déroulement des indépendances. Faute d’avoir connu la Résistance et les luttes anticoloniales, ses initiateurs réinventent une histoire héroïque et légendaire dont ils se voudraient les actuels protagonistes. En fait, il s’agit d’une double imposture. Tout d’abord, elle leur permet de couper les liens avec leurs pays d’origine dont les indépendances ne furent guère couronnées de succès. Leur échec est attribué à un « néocolonialisme », aimable plaisanterie qui fait l’impasse sur les méfaits des partis uniques, la corruption et l’incompétence des dirigeants. Plutôt que de fustiger cela, on choisit la France comme bouc émissaire en donnant de son passé colonial une vision tronquée et dénaturée, appelant une réparation qui se limite à l’octroi de privilèges aux seuls ressortissants des anciennes colonies installés en France. Mais c’est aussi et avant tout renvoyer l’Afrique du Nord et subsaharienne à leur lente descente aux enfers et se refuser à les aider. Du « cartiérisme d’extrême gauche », en quelque sorte, dissimulé habilement sous la rhétorique révolutionnaire héritée du Sommet de Bandoeng. Appeler la France à se repentir de ces « crimes » est un curieux retour de la thématique Vichy. Doit-on le rappeler, la « Révolution nationale » fut une gigantesque auto flagellation et un acte de contrition imposé au pays par Pétain et ses partisans. La France devait expier la République, l’école sans Dieu, les instituteurs, Le Front populaire, les congés payés, Gide, Proust, etc.., tous responsables de la défaite. Mutatis mutandis, on assiste aujourd’hui au même phénomène, mais en provenance de l’extrême gauche, ce qu’on peut difficilement considérer comme un progrès décisif. L’histoire du colonialisme est un sujet suffisamment grave pour ne pas se prêter à des simplifications abusives et à une lecture réductrice des modalités de l’expansion européenne outre-mer. Il faut, bien entendu, parler des crimes du colonialisme, et marianne-en-ligne vous propose donc d’en découvrir certains qui se sont déroulés en Algérie, en Tunisie, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Soudan français ou à Madagascar. Mais s’il est une constante, à travers toute la littérature coloniale du XIX° et de la première moitié du XX° français, c’est bien le fait que les partisans de l’aventure coloniale se plaignent de ce que l’opinion publique soit non seulement indifférente mais aussi profondément hostile à leurs thèses. La droite cocardière, pour ne citer qu’elle, y était très farouchement opposée et il est plutôt paradoxal de voir ses actuels héritiers enfourcher le mauvais cheval du colonialisme si virulemment combattu par leurs ancêtres. C’est à cet anticolonialisme de droite que nous consacrons un article de ce dossier. Ce fait, à lui seul, montre que l’on ne peut obliger Clio à se mettre au garde-à-vous. Il convient de laisser les historiens faire leur travail, loin de toute contrainte idéologique ou politique, de droite comme de gauche.. C’est précisément parce qu’ils connaissent les pages sombres de ce passé que des historiens, spécialistes éminents de la colonisation et de la décolonisation, notamment Claude Liauzu et Annie Rey-Goldzeiguer, ont demandé d’urgence l’abrogation de la loi du 23 février 2 005. Pour eux, elle « impose une histoire officielle » et « un mensonge officiel sur des massacres allant parfois jusqu’au génocide, sur l’esclavage, sur le racisme hérité de ce passé ». Ils n’ont pas tort de souligner que cette loi « légalise un communautarisme nationaliste suscitant en réaction le communautarisme de groupes ainsi interdits de tout passé ». Voilà une formidable régression qui en dit long sur la façon dont certains élus lutinent allègrement Clio et réinventent cette « histoire officielle » qui caractérisait jadis les pays totalitaires. Il est bien loin le temps où, à l’Ecole nationale de la France d’Outre-Mer, la chaire d’histoire coloniale était confiée à un Charles-André Julien qui avait de son sujet d’enseignement une vision moins étriquée que nos modernes Tartuffes. Patrick Girard

Publié dans Francafrique

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