Raphaël Confiant : A propos dAlain Finkielkraut et des autres Mélanophobes
04/04/2005
Depuis quelques semaines, le philosophe Alain Finkielkraut se répand dans tous les médias, en particulier sur les radios juives, pour stigmatiser les Antillais, en particulier les Martiniquais, au motif que ces derniers seraient tout à la fois des « assistés » et des anti-sémites, adeptes de Louis Farakhan. Mieux (ou pire) : la créolité serait une idéologie haineuse distillant un discours anti-blanc et francophobe. Profitant des différents procès intentés à lhumoriste Dieudonné et des bagarres provoquées par des « casseurs noirs », venus des banlieues, à lencontre des « lycéens blancs et juifs » lors des dernières manifestations contre la loi Fillon, il enfonce le clou en lançant une pétition nationale qui se révèle être un véritable appel à la haine anti-Noirs, un manifeste de ce quon pourrait appeler la « mélanophobie ».
Sans doute Alain Finkielkraut ignore-t-il ce quest exactement la Martinique (à moins quil ne feigne de lignorer). Pour sa gouverne et celle de ceux qui le soutiennent dans sa croisade anti-nègre, il me semble important de rappeler un certains nombre de faits historiques :
§ en 1635, les Français débarquent dans une île peuplée depuis des millénaires par les Caraïbes, île que ces derniers nommaient « Matinino » ou « Jouanakaéra ». En moins de trente ans, ils massacrent ceux-ci jusquau dernier, continuant ainsi le génocide des Amérindiens entamé avant eux par les Espagnols et les Portugais.
§ vers 1660, et cela jusquen 1830, ils importent des centaines de milliers dAfricains quils transforment en esclaves dans des plantations de canne à sucre lesquelles contribueront pendant trois siècles à faire la fortune des ports de Bordeaux, Nantes, La Rochelle etc
et plus généralement de la France, participant ainsi, aux côtés des autres puissances européennes, à lesclavage des Nègres.
§ en 1853, lesclavage aboli car désormais non rentable, ils importent, et cela jusquen 1880, des dizaines de milliers dHindous du Sud de lInde quils installent sur les plantations, en partie désertées par les anciens esclaves noirs, et leur imposent un système dasservissement et de travail forcé qui na rien à envier à lesclavage.
§ en 1960, lEtat français crée le BUMIDOM (Bureau des Migrations des Départements dOutre-Mer) et importe des dizaines de milliers de postiers, filles de salles et infirmières, ouvriers dusine et autres agents de police antillais qui, aux côtés des travailleurs immigrés maghrébins, contribueront pour une large part à ce quil est convenu dappeler les « trente glorieuses ».
Telle est, en raccourci, lhistoire de la Martinique. On est loin des plages de sable blanc, des cocotiers et des belles « doudous », nest-ce pas ? Mais sans doute est-il bon de rappeler deux autres points à Alain Fienkielkraut:
A labolition de lesclavage des Noirs (1848), pas un arpent de terre, pas un sou de dédommagement na été accordé aux anciens esclaves lesquels navaient dautre ressource que de défricher les mornes (collines) de nos îles pour tenter de survivre grâce à des jardins créoles ou de retourner travailler, en tant quouvriers agricoles sous-payés, sur les mêmes plantations où leurs ancêtres et eux avaient été réduits en esclavage. Même les Etats-Unis, accusés pourtant dêtre, dans le Sud profond (Mississipi, Alabama etc.), un enfer pour les Nègres, lEtat sest fait un devoir daccorder à chaque ancien esclave « twenty-two acres and a mule » (vingt-deux acres de terre et un mulet). Cest dailleurs là, très symboliquement, le nom de la compagnie cinématographique du cinéaste noir américain Spike Lee. Aux Antilles, une fois les chaînes ôtées, le nègre sest retrouvé Gros-Jean comme devant.
Pas rancunier pour deux sous, le Nègre antillais a participé à toutes les guerres qua lancé ou
qua subi la France : guerre de conquête du Mexique en1860 au cours de laquelle le « bataillon créole », de son nom officiel, fit preuve dune bravoure extrême comme le reconnurent elles-mêmes les autorités militaires françaises ; guerre de 1870 contre lAllemagne ; guerre de 14-18 au cours de laquelle de nombreux soldats martiniquais furent décorés pour leur vaillance lors de la fameuse bataille des Dardanelles ; guerre de 39-45 au cours de laquelle 8.000 volontaires Martiniquais et Guadeloupéens gagnèrent, au péril de leur vie, les îles anglaises voisines doù ils purent rejoindre les Forces Françaises Libres du Général De Gaulle et participer ainsi aux combats, alors même que nos îles étaient dirigées par deux gouverneurs vychistes, les amiraux Robert et Sorin ~; guerre dIndochine où périrent de nombreux Antillais (notamment à Dien Bien Phu) ; guerre dAlgérie au
cours de laquelle, pour un Frantz Fanon, un Daniel Boukman ou un Sonny Rupaire qui rallièrent le FLN, des centaines de soldats antillais participèrent sans état dâme à cette « sale guerre » ; guerre du Tchad dans les années 80 etc
etc
Alors, anti-blancs et francophobes les Martiniquais ? Assistés les Antillais alors que pendant trois siècles, ils ont travaillé sans salaire, sous le fouet et le crachat, pour enrichir et des planteurs blancs et lEtat français ? Que pèsent, effet, ces cinquante dernières années de « départementalisation » et de juste remboursement de la dette de lesclavage face à ces trois siècles dexploitation sans merci ? Sans doute faudrait-il aussi rappeler à Alain Finkielkraut quau XVIIIè siècle, la France faisait les trois-quarts de son commerce extérieur avec Saint-Domingue (devenue Haïti), la Martinique et la Guadeloupe et quentre ces « quelques arpents de neige du Canada » comme lécrivait Voltaire et les Antilles, elle nhésita pas une seconde. Aux Anglais, le Canada peu rentable à lépoque (doù le lâche abandon des Canadiens français, subitement redécouverts par De Gaulle en 1960). Aux Français, les riches terres à sucre de canne, café, tabac et cacao des Antilles.
Toute personne qui fait fi des données historiques et sociologiques présentées plus haut (et je nai même pas parlé de lidéologie raciste et anti-nègre qui a sévi dans nos pays pendant trois siècles !) ferait preuve soit de malhonnêteté intellectuelle soit dignorance. Je préfère accorder le bénéfice du doute à Alain Finkielkraut et croire quil ignorait tout cela avant de traiter les Antillais dassistés. Mais venons-en maintenant à la question de lanti-sémitisme des Antillais. Et là, que lon me permette dénoncer une vérité dévidence : la Shoah est un crime occidental ! Comme la été le génocide des Amérindiens, comme la été lesclavage des Noirs, comme la été la déportation des Hindous, comme la été lextermination des Aborigènes australiens etc
Le terme de « crime contre lhumanité » est une hypocrisie. Un faux-semblant. Une imposture. En effet, quand un individu commet un crime, personne ne songerait à taire son nom. Guy Georges (Antillais) et Patrice Allègre (Français) sont des «serial killers». Fort bien. Mais alors quon mexplique pourquoi, quand il sagit dun crime commis par un peuple, un état ou une civilisation bien particulière, on sacharne à en dissimuler le nom ? Pourquoi ? Non, monsieur Fienkielkraut, si la Shoah est bien une abomination, elle na été mise en uvre ni par les Nègres, ni par les Amérindiens, ni par les Chinois, ni par les Hindous, ni par les Arabes. Elle a été mise en uvre par lOccident. Ce même Occident qui na cessé de pourrir la vie des Juifs depuis 2.000 ans.
Citons :
§ destruction du Temple de Jérusalem par les Romains en lan 70 et dispersion du peuple Juif.
§ inquisition au Moyen-âge par les Espagnols.
§ pogroms au XIXè siècle par les Russes et les Polonais.
§ chambres à gaz par les Allemands au XXè siècle.
§ rafle du Vel dHiv par les Français au même siècle etc
etc
Et puis, deux petites précisions à nouveau et là, Alain Finkielkraut ne peut feindre lignorance :
« Le Protocole des Sages de Sion » na été rédigé ni en hindi, ni an quechua, ni en swahili, ni en
chinois, ni en arabe. Cest un faux grossier, un chef duvre danti-sémitisme, concocté par la police tsariste et écrit en russe, langue européenne si je ne mabuse. Ce ne sont pas les Juifs vivant dans les pays arabes, les Séfarades, qui ont dû fuir comme des dératés pour sen aller construire un état où ils seraient enfin libres mais bien les Juifs dEurope, les Ashkénazes, parce quils avaient compris quils ne pouvaient plus vivre sur ce continent.
Quand la France arrive, par exemple, en Algérie, en 1830, elle découvre trois populations vivant en
relative harmonie, les Arabes, les Berbères et les Juifs. Certes, en terre musulmane, le Juif avait un statut inférieur, dit « de protégé » car peuple du Livre, mais on na jamais entendu parler, ni au Maroc, ni en Tunisie, ni au Yémen dentreprise scientifiquement élaborée dextermination du peuple juif. Ma question à Alain Finkielkraut est donc simple, naïve même : pourquoi après avoir subi tant davanies de la part de lOccident vous considérez-vous quand même comme des Occidentaux ? Pourquoi un ministre des affaires étrangères dIsraël sest-il permis de déclarer récemment : « Nous autres, Occidentaux, nous ne nous entendrons jamais avec les Arabes car ce sont des barbares ». Toute la presse bien-pensante dEurope sest émue du mot « barbares ». Moi, ce qui ma choqué par contre, cest le terme « Occidentaux ». Comment, monsieur Finkielkraut, peut-on se réclamer de lOccident après avoir subi lInquisition, les pogroms, les chambres à gaz et la rafle du Vel dHiv ? Oui, comment?
Quand vous aurez répondu à cette question, le vrai débat pourra commencer
Un ultime point tout de même : quand vous déclarez, sur Radio Communauté Juive, que nous détesterions Israël « parce que ce nest pas un pays métissé », je préfère croire que vous voulez rire.
Quel pays est plus muticulturel et plus multilingue quIsraël avec ses blonds aux yeux bleus russophones, ses Noirs dEthiopie (Falashas) parlant lamharique, ses Séfarades au type sémite et souvent arabophones et même ses Juifs hindous et chinois ?
Raphaël Confiant Ecrivain martiniquais