Michel Barnier : «Haïti est un test pour la capacité de l'Europe à réagir»

Publié le par Christian Bailly-Grandvaux

CARAÏBE Entretien avec le ministre des Affaires étrangères
Michel Barnier : «Haïti est un test pour la capacité de l'Europe à réagir»
Un an après la chute du régime d'Aristide, Haïti est toujours plongé dans la violence, le marasme économique et l'extrême pauvreté. Soucieuse d'appuyer l'effort entrepris par la communauté internationale pour tenter de stabiliser le pays, la France accueille aujourd'hui à Cayenne une réunion ministérielle sur la reconstruction en Haïti. A l'origine de cette initiative, Michel Barnier explique les enjeux de cette conférence internationale.

Propos recueillis par Thierry Oberlé
[18 mars 2005]


LE FIGARO. – Pourquoi une conférence internationale sur Haïti ?



Michel BARNIER. – Haïti est un pays francophone où aucun ministre des Affaires étrangères n'était allé pendant deux siècles avant mes deux voyages en 2004. J'y ai ressenti de l'émotion, un très fort sentiment de solidarité et beaucoup de raisons d'agir. Ce pays concentre, en effet, de nombreux défis à relever. Le premier d'entre eux est celui de la pauvreté. La nation haïtienne est classée parmi les quatre plus pauvres du monde. La misère y est partout présente comme dans les bidonvilles de Port-au-Prince. Par ailleurs, le pays sort difficilement d'une guerre civile malgré la présence des forces internationales qui demeurent nécessaires pour stabiliser la situation. Le deuxième défi est écologique avec, en particulier, une déforestation massive. Le troisième défi est celui de notre influence régionale avec la présence des territoires français proches. Enfin, c'est un test pour la capacité de l'Europe à réagir ensemble. Nous avons organisé cette conférence sur Haïti avec mon homologue espagnol, Miguel Angel Moratinos, et mes collègues du continent américain pour en faire une réunion différente des autres. Il ne s'agit pas de se contenter de produire des discours et de signer des chèques. Nous voulons apporter du progrès très concrètement et très directement sur le terrain.



Qu'allez-vous proposer ?



Il s'agit d'un rendez-vous opérationnel, qui va se tenir dans la région même, à Cayenne, avec des pays décidés à agir rapidement et le premier ministre haïtien, M. Latortue. Nous allons établir la liste des projets que nous sommes prêts à soutenir puis décider qui les réalise et dans quels délais. La France va proposer près de 60 projets pour un montant de 31 millions d'euros. Au total, plus de 200 projets sont en train d'être finalisés, c'est un véritable «agenda pour Haïti» que nous voulons mettre en oeuvre tous ensemble. Les initiatives qui devraient être adoptées à Cayenne couvrent trois grands enjeux : les infrastructures avec les routes, l'électricité et l'eau, les services de base avec la santé et l'éducation et la bonne gouvernance. L'originalité de notre démarche est d'éviter les voeux pieux et les promesses verbales et de se concentrer, tout au contraire, sur des projets très concrets.



Comment allez-vous contourner les obstacles de la corruption ?


La plaie de la corruption existe même si les bailleurs de fond constatent une nette amélioration du contrôle de la dépense publique par le gouvernement haïtien. Mais il ne faut pas relâcher l'effort et c'est la raison pour laquelle l'un des thèmes traités à Cayenne visera précisément à renforcer notre assistance dans ce domaine. Le fait d'engager l'argent nous-mêmes, en accord bien sûr avec les autorités locales, est peut-être aussi une garantie.


Est-il possible de lancer des grands projets alors que la sécurité n'est pas rétablie ?



Il y a encore, c'est vrai, une situation de grande insécurité en Haïti. La Minustah (la force des Nations unies) doit donc continuer son travail et renforcer son action. Nous ne pourrons donner à notre coopération sa pleine mesure que si ce pays retrouve une vraie stabilité. Il faut donc avancer en même temps sur ces deux terrains : le retour à la sécurité et la montée en puissance de l'aide internationale.


Faut-il engager des poursuites contre l'ancien président Aristide ?



Aujourd'hui, Haïti a un calendrier politique clair et précis. Le gouvernement intérimaire haïtien a pour mission essentielle de préparer les élections générales, à l'automne 2005. Sa priorité, dans ce contexte, est de susciter un dialogue national constructif, en vue d'une réconciliation nationale. La première priorité, pour le peuple haïtien comme pour la communauté internationale, doit être de faire repartir le pays. Au-delà de ces élections, il sera temps alors pour les nouvelles autorités haïtiennes de réfléchir à la manière de rendre cette réconciliation nationale véritablement effective. A ce moment-là, se posera la question de mener une action résolue contre tous ceux qui ont pris part à des violations des droits de l'homme, à des détournements de fonds publics ou à des activités illégales. Mais ce débat-là, ce sera aux Haïtiens eux-mêmes de le mener et de le trancher.

Publié dans Les politiciens

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